L'Économie en VO : Débat économique consacré à l'impact de la Mondialisation sur les entreprises et les salariés (2ème partie).
Deuxième partie consacrée au modèle d'entreprise dans la Mondialisation

26 septembre 2011 10 h 45 min
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Débat économique l’Economie en VO : Deuxième partie consacrée au modèle d’entreprise dans la Mondialisation

Web TV www.labourseetlavie.com : Qu’est-ce qui aujourd’hui pourrait recréer peut-être ce lien qui a été un petit peu perdu ?

Bertrand Collomb: Ce que nous avons voulu dire effectivement, c’est que l’entreprise a eu dans l’opinion des vicissitudes. Il y a eu une époque où l’entreprise était portée aux nues et on attendait tout de l’entreprise, les chefs d’entreprise étaient des héros, etc. et puis ensuite il y a eu une période où au contraire la grande entreprise c’est le mal absolu, la petite entreprise encore on la comprend, elle est proche, etc., mais la grande entreprise c’est la mondialisation dans ses aspects négatifs et le chef de grande entreprise alors c’est l’horrible.

Et moi, ce que j’ai voulu dire simplement, ce que nous avons voulu dire dans ce livre, c’est que la mondialisation c’est des opportunités extraordinaires, c’est aussi des problèmes. Mais l’avantage c’est que cette mondialisation, elle donne, elle apporte les solutions aux problèmes. Les problèmes de la mondialisation c’est l’explosion de la population du monde, c’est les problèmes d’environnement, et puis c’est la financiarisation et l’hyper développement, l’hypertrophie du système financier. Ce n’est pas moi qui disais cela, c’était le nouveau régulateur britannique qui a employé cette expression : « l’hypertrophie du système financier ».

Mais les solutions nous sont apportées aussi parce que le développement technologique, l’innovation apportent des solutions aux problèmes de la population, on est capable de nourrir la population si on sait manager, on peut trouver les solutions aux problèmes d’environnement, même du changement climatique. Technologiquement on a des solutions, ce qui limite c’est notre capacité à nous organiser socialement au niveau national mais surtout au niveau international, mais les deux.

Moi ce que je veux dire, l’entreprise est un lieu où le principe d’efficacité est roi. L’entreprise c’est le domaine de l’efficacité. C’est en même temps, les entreprises internationales, un endroit où on comprend les différences culturelles parce qu’on a l’habitude de travailler dans différents pays. Et donc les entreprises peuvent jouer un rôle positif à condition bien entendu qu’elles ne soient pas dans le modèle anglo-saxon, Friedman, Milton Friedman : « je gagne de l’argent et tout le reste je m’en fous ». L’entreprise a besoin de gagner de l’argent parce que c’est le symbole de son efficacité et puis c’est la rémunération d’investissement des actionnaires, mais l’entreprise responsable, l’entreprise humaine est une entreprise qui se préoccupe de sa contribution à l’évolution de la société autour d’elle, et ce livre dont vous parliez, il avait comme thème de dire : « des entreprises qui jouent ce jeu-là, elles sont aussi efficaces que les autres, voire plus efficaces que les autres, et elles peuvent apporter pas LA solution parce qu’il n’y a pas une solution, mais elles peuvent aider à la solution. Mais ceci dit les entreprises ne peuvent pas le faire toute seules. C’est la responsabilité des politiques de créer le cadre dans lequel les entreprises travaillent.

Web TV www.labourseetlavie.com : Est-ce que justement vous vous considérez peut-être, François Enaud, à arme égale quelque part quand un groupe de services informatiques, il y a des groupes de services informatiques indiens, il y en a des américains, est-ce que vous Steria européen trouve qu’il est à arme égale face à ses concurrents, quelque part ?

François Enaud : À arme égale, l’expression est ambiguë parce que l’on n’a pas forcément les mêmes armes, cela ne veut pas dire que l’on n’est pas forcément aussi, on a moins de chances de gagner qu’ils peuvent en avoir, c’est juste que le risque serait justement de chercher toujours à être à arme égale. On est dans des économies totalement différentes avec des modèles économiques qui n’ont rien à voir, donc effectivement il ne faut pas chercher à être l’égal de quelqu’un qui vient d’un univers différent. Par contre effectivement il faut chercher à être plus fort, voire même égaux en termes de compétitivité, cela, c’est autre chose. Alors oui bien sûr et fort heureusement c’est un bel exemple celui que vous prenez puisqu’on est dans les technologies de l’information, cela se transporte à la vitesse de la lumière, donc la distance et la localisation ont peu d’importance et vous avez tous nos principaux coûts ce sont des coûts de main- d’œuvre. Effectivement si on compare le coût de la main-d’œuvre en Inde et le coût de la main- d’œuvre d’ingénieurs formés, qualifiés en France ou en Europe, cela n’a rien à voir. Donc effectivement si on prend juste cette variable-là, on est forcément perdant, fort heureusement on a d’autres atouts. Quels sont nos atouts ? Nos atouts, c’est notre expérience c’est-à-dire que l’on a plus d’expérience dans ces métiers, dans ces technologies, que l’ont ces jeunes entreprises, même très fortes, très grosses en taille dans ces pays-là, comme l’Inde ou la Chine. Ensuite on a bien sûr notre capacité d’innovation, notre capacité à digérer les nouvelles technologies rapidement. Et puis je pense que la bataille se fait aussi sur la créativité. Je crois qu’on ne pourra gagner que si on est capable de créer des offres, voire des services qui sont moins intensifs en capitaux humains et puis beaucoup plus intensifs en valeur d’usage. Et donc il n’y a que comme ça que l’on va pouvoir maintenir un niveau de compétitivité parce qu’effectivement il faut déplacer la variable de la masse salariale vers un autre élément sur lequel on va pouvoir exprimer davantage nos atouts.

Web TV www.labourseetlavie.com : L’image de l’aéronautique avec l’avance technologique, garder cette avance, je ne sais pas combien de temps on la gardera, mais

François Enaud : On dit que l’aéronautique effectivement est encore dix ans, vingt ans en avance. Je pense que c’est difficile de dater cela, je pense que l’important c’est de se mettre toujours dans cette dynamique de créativité, d’innovation, qui va faire que effectivement on va pouvoir garder cet avantage compétitif.

Pour revenir à la question précédente parce que tout cela est très lié finalement cette réappropriation du travail qui passe par la reconnaissance de l’entreprise, je crois qu’on est malheureusement dans une période où on a perdu un peu le véritable sens de l’entreprise.

Finalement on associe trop l’entreprise d’aujourd’hui, et c’est une affaire très certainement de communication, on associe trop l’entreprise à sa performance financière et on ne l’associe plus à ce qu’elle fait et à sa raison d’être, c’est de produire des services ou des biens, et cela c’est un vrai problème parce que l’image que l’on se faisait de l’entreprise il y a quelques années, vous l’évoquiez, qui effectivement l’entreprise était vraiment vertueuse parce qu’on l’associait aux produits qu’elle fabriquait, aux services qu’elle développait. Aujourd’hui on ne l’associe plus qu’à des résultats financiers et c’est une affaire de com.

Allez voir des journalistes pour dire « j’ai envie de parler d’un produit que nous venons de développer ou d’un service », cela n’intéresse personne. Par contre si vous avez un scoop financier, cela intéresse tout le monde.

Web TV www.labourseetlavie.com : Il faut retrouver ce que fait réellement l’entreprise. François Martin, sur cette réappropriation et sur cette ambiance, on pourrait dire que effectivement il y a eu aussi une envie d’aller travailler qui peut-être n’est plus là. Alors vous vous avez dit carrément que les Français n’ont plus cette envie-là.

François Martin : Je le pense oui. Au passage je signale que François Enaud dit cela à un journaliste dont la société s’appelle La Bourse et la Vie.com. Effectivement il y a la Bourse et la Vie, alors ce qu’il est en train de dire c’est en fait, la Bourse c’est bien, mais n’oublions pas la vie.

Web TV www.labourseetlavie.com : C’est effectivement le l’objectif c’est derrière la bourse il y a la vie, il y a une aventure humaine, voilà, et c’est l’entreprise. Alors sur cette réappropriation, comment on peut avancer ?

François Martin : Moi j’ai été frappé par cela en fait en allant à l’étranger et en regardant un peu la France chaque fois je reviens avec les yeux d’un étranger. Et je suis frappé d’une chose c’est que quelque part (…), Il faut qu’il y ait un deal économique tacite entre l’entreprise et les salariés et que la précarisation progressive parce que quand on dit que l’on a conservé notre modèle social, en fait cela n’est pas vrai. Xavier Bertrand hier à mon avis a oublié une chose là-dedans, c’est que quand on dit modèle social, en fait il n’est pas que social, il est socio-économique. Et il y a une partie où on a énormément changé, c’est sur la sécurité parce que autrefois il y avait une espèce de deal alaire – sécurité, travail contre sécurité. On rentrait dans l’entreprise, je dirais qu’il n’était pas aussi important pour un salarié d’essayer de tirer le maximum à travers les syndicats de ce qu’il pouvait avoir comme avantages financiers de l’entreprise à partir du moment où la sécurité lui permettait de monter dans l’échelle sociale, d’éduquer ses enfants, etc., etc.

Ceci a totalement disparu parce que aujourd’hui en fait le salarié reçoit à plein le risque de la mondialisation. Donc, pour moi, il est quelque part devenu un co-investisseur de fait de l’entreprise. Il donne son travail à l’intérieur de l’entreprise mais pour autant il n’est pas rémunéré par rapport à son risque c’est-à-dire que le système n’est pas considéré comme naturel, que si l’entreprise gagne beaucoup, ses salaires vont être explosifs, par contre que si l’entreprise perd, lui il perdra son job. Alors on est dans une espèce de système intermédiaire qui ne satisfait personne. Je ne parle pas des entreprises où le dialogue social et socio-économique fonctionne, mais dans beaucoup d’entreprises il ne fonctionne pas. Alors en fait l’entreprise se satisfait d’une certaine façon d’une forme de précarisation parce que ça lui permet de tirer sur les coûts, mais en fait cela ne satisfait pas sur le long terme parce qu’elle ne construit rien, elle construit sur la démotivation. Et puis d’un autre côté, le salarié lui-même continue à demander de la sécurité qu’il ne peut pas avoir parce qu’il ne veut pas rentrer dans un dialogue où on va lui dire : « écoute ou tu es un mercenaire, cela c’est vu de la mauvaise façon, mais de la bonne façon tu es un entrepreneur a l’intérieur de l’entreprise, si on gagne tu gagnes, si on perd tu perds », on est entre les deux, c’est un peu ce problème de paradigme dont je parlais.

Web TV www.labourseetlavie.com : C’est intéressant. Bertrand Collomb, peut-être pour ce nouveau pacte qu’on essaye de …

Bertrand Collomb : je suis assez d’accord sur le fait que l’on n’a pas développer suffisamment l’idée qu’effectivement les collaborateurs doivent être solidaires de l’entreprise y compris financièrement dans la difficulté comme dans le succès. Mais les gens sont prêts à le faire. Je voyais dans une réunion que nous faisions l’exemple de Poclain Hydraulics qui a traversé la crise de 2008-2009 avec des baisses de volume de 60 %. La solution classique c’est de liquider 60 % du personnel, ils n’ont pas fait cela et ils ont réussi à avoir un accord avec l’ensemble des syndicats de l’ensemble des pays où ils étaient pour faire évoluer la masse salariale vers le bas pendant l’année 2009 avec des clauses de retour à meilleure fortune, etc. et finalement ils ont eu un accord pour garder la substance sociale de l’entreprise pour traverser cette crise.

Donc c’est ce qui me frappe, quand il y a un problème posé dans l’entreprise, on trouve des solutions. Les gens ne sont pas idiots, ils savent que quand l’on est confronté à un défi, il faut faire ce qu’il faut. Par contre, quand le même problème est vu au niveau national ou au niveau macro-économique, les gens se bloquent ou les représentants des gens se bloquent et on n’arrive pas à trouver de solutions.

Alors en France on retrouve un peu l’histoire de la prime dividende qui a été mal posée mais enfin bon, en France on a un système d’intéressement et de participation qui est en termes de masse, de volume, comprend pas mal d’argent. Nous avons des sociétés, quand elles marchaient bien, il y avait jusqu’à 25 % de la rémunération des gens qui était faite de l’intéressement et la participation. Mais à la française, c’est un système affreusement compliqué, il y a deux niveaux Participation Intéressement : alors Participation vous pouvez toucher, c’est gaulliste, etc., Intéressement c’est un peu plus souple, mais enfin il n’y a pas si longtemps, il fallait que l’accord ait un agrément, donc un accord de trois ans, on avait l’agrément au bout de deux ans, maintenant cela va mieux. Je prône depuis longtemps une simplification beaucoup plus grande de cela

Web TV www.labourseetlavie.com : Que l’on ait une meilleure vision de cette partie-là

Bertrand Collomb : Et puis que cela fasse partie du dialogue sur la rémunération alors que théoriquement on n’a même pas le droit d’en parler quand on parle des salaires parce qu’il faut que cela soit totalement indépendant des salaires. Ce n’est pas sérieux et je pense qu’il y aurait des choses à faire dans ce sens-là parce que je suis d’accord que le risque négatif lié à la volatilité, à la rapidité des changements, doit être compensé par un risque positif et quand l’entreprise va bien que le collaborateur puisse en profiter.

Web TV www.labourseetlavie.com : François Enaud sur cette évolution des entreprises

François Enaud : Cela touche un point très très important et qui nous est très cher puisque cela touche au modèle même de l’entreprise que nous avons développée qui a été créé il y a 40 ans. Je crois si je peux me permettre que ce pacte qu’il faut créer entre les salariés et leur entreprise pour effectivement retrouver cette motivation quel que soit le contexte environnemental, mais retrouver cette motivation qui est un gisement de compétitivité énorme, je crois que cela dépasse l’enjeu ou la question de la solidarité financière. Elle est importante, elle est clé puisque effectivement il faut avoir, au moins déjà être « fair » vis à vis de ses salariés. Je ne vois pas pourquoi effectivement ils seraient toujours les perdants lorsqu’il y a des difficultés et pas les gagnants lorsque les choses vont mieux. Donc cela me paraît être le minimum.

Mais l’équation doit aller bien au-delà. Je pense que, on a parlé d’un enjeu énorme tout à l’heure en disant mais finalement l’enjeu c’est cette capacité à s’adapter rapidement, à remettre en cause son modèle, à repenser ses atouts, donc à changer. Je crois que le changement ne peut pas, il va aujourd’hui à une vitesse colossale. Dans notre industrie avant il suffisait de s’adapter à des évolutions technologiques, cela était déjà beaucoup puisqu’il y en avait souvent dans les technologies de l’information, cela bouge vite, mais enfin on avait un rythme plus lent. Maintenant pratiquement les changements économiques sont encore plus rapides et la vérité d’un jour, elle est remise en cause trois mois plus tard, etc. Donc les changements sont encore plus soudains.

Et je pense que dans une entreprise de plusieurs dizaines de milliers de personnes, comme c’est le cas de Lafarge ou de Steria, vous êtes obligés dire ce n’est pas que le management ne peut pas comme cela d’en haut dicter un changement et surtout à la limite il pourrait si il est très intelligent, il pourrait peut-être l’imaginer et le concevoir comme il faut mais alors dans l’exécution, évidemment cela passe par la contribution de chacun. Donc chacun doit être acteur de ce changement, mais pour être acteur, je veux dire, encore faut-il comprendre le pourquoi de ce changement et donc c’est pour cela que l’équation va plus loin que la solidarité financière. On est obligé de faire de nos salariés des co-entrepreneurs et on doit trouver des modèles d’entreprises et de gouvernances qui font que finalement d’une certaine manière les collaborateurs sont partie prenante des décisions stratégiques.

Fin de la 2ème partie

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