Didier Pineau-Valencienne : "Je suis désespéré de voir que les 40 sociétés du CAC40 sont toutes détenues par des étrangers".
L'ancien dirigeant de Schneider a publié "Soleil et Sympathie", il est l'invité exceptionnel de la Web Tv www.labourseetlavie.com
Ceux qui s’intéressent à la Bourse et aux grandes entreprises ont sans doute connu Didier Pineau-Valencienne à la tête de l’entreprise Schneider.
Mais même ceux-là ignoraient jusqu’à cette publication de “Soleil et Sympathie”, la première passio, qui ne l’a jamais quitté et au contraire accompagné dans sa vie de dirigeant, celle du livre et de la littérature. Didier Pineau-Valencienne a ainsi commencé sa carrière en accompagnant Albert Camus chez Gallimard.
Il a réuni au fil des ans une collection exceptionnelle et c’est cette histoire, faite de découvertes et de rencontres, qu’il nous raconte dans ce livre qui contient des documents uniques comme des textes et dessins inédits d’Albert Camus, de René Char, d’André Gide et d’André Malraux.
Dans « Soleil et Sympathie » il raconte comment Albert Camus, Gaston Gallimard, André Malraux, Roger Martin du Gard, René Char, ou Paul Eluard ont marqué sa vie, et même influencé ses décisions dans sa vie personnelle ou professionnelle.
Didier Pineau Valencienne répond dans ce long entretien à mes questions qui portent sur sa vie de dirigeant d’entreprise internationale, lui qui a connu la prison, l’emballement médiatique, mais n’a pas eu forcément le pendant des médias lorsqu’il a été innocenté par le juge belge, une vie où la littérature l’a toujours accompagné, lui le vendéen qui a gardé ses racines au coeur.
L’interview de Didier Pineau-Valencienne par Didier TESTOT fondateur de la Web Tv www.labourseetlavie.com (Tous droits réservés 2020).
Web TV www.labourseetlavie.com : Didier Pineau-Valencienne, bonjour.
Didier Pineau-Valencienne : Bonjour.
Web TV www.labourseetlavie.com : Merci de me recevoir chez vous. On sait que vous avez été un grand dirigeant d’entreprise, de l’entreprise Schneider, mais pour les anciens comme moi, on disait Schneider avant de dire Schneider Electric. C’est effectivement votre réalisation. On connaissait moins de vous votre passion ancienne des livres. C’est ce que vous racontez dans Soleil et sympathie aux éditions du Cherche Midi. Pourquoi avoir voulu justement nous parler de ces livres, de cet amour de la littérature française.
Didier Pineau-Valencienne : Alors, je vais peut-être commencer par vous dire qu’à mon âge, je m’intéresse énormément au caritatif. C’est-à-dire, je voudrais rendre à ceux qui m’ont formé ce qu’ils m’ont donné. Par conséquent, je m’occupe de mon lycée, je m’occupe de mon école HEC et je m’occupe de la médecine, des grandes maladies, d’aider à résoudre les problèmes des grandes maladies. Et m’occupant de mon lycée, un jour, je sortais du Lycée Janson-de-Sailly rue de la Pompe et je vois un groupe de jeunes d’une douzaine d’élèves et qui tous étaient en train de pianoter sur leur portable. À ce moment-là comme dans un rêve, je lève les yeux et je vois les bustes des grands auteurs français qui sont le long du mur de Janson-de-Sailly et je les vois dans mon rêve faire la grimace. Je baisse un peu les yeux, je vois les fenêtres qui s’ouvrent et je vois tous mes professeurs que j’avais eus en 5e, 4e, 2nde, 1ère, qui s’ouvrent et qui me disent « Défends-les, défends-les ». Alors en réfléchissant en allant vers ma voiture, je me suis dit, il faut que j’écrive quelque chose. Et c’est comme ça que j’ai eu l’idée d’écrire ce livre. Et peut-être maintenant, pourquoi le titre ?
Web TV www.labourseetlavie.com : Oui, “Soleil et sympathie”.
Didier Pineau-Valencienne : Soleil et sympathie. Le premier travail que j’ai eu après un long service militaire de près de 28 mois dans la marine, j’ai travaillé, j’ai eu la chance de travailler pendant deux ans pour Albert Camus chez Gallimard et ça a été un des moments merveilleux de ma vie. Camus m’a donné mon premier livre de collection qui était La chute et il m’a donné ce livre numéroté avec une dédicace qui était « Soleil et sympathie ». Et j’ai repris la dédicace de Camus pour faire le titre de mon livre.
Web TV www.labourseetlavie.com : Ce que vous racontez dans cet ouvrage, c’est que Camus, ça a été quelqu’un de proche pour vous puisque quand vous étiez chez Gallimard…
Didier Pineau-Valencienne : Je le voyais tous les jours.
Web TV www.labourseetlavie.com : Nous, on le connaît comme auteur parce qu’on a lu certains de ses livres, mais vous, vous l’avez vu dans la vie réelle.
Didier Pineau-Valencienne : Je le voyais tous les jours, un petit peu avec sa vie privée dont je ne veux pas parler, mais ça fait partie du secret professionnel. J’ai été un peu habitué à traiter de la vie privée des grands. J’ai été Aide de camp dans la Marine à l’amiral et c’est là où j’ai appris la vie finalement et comment il fallait gérer la vie privée de la personne que vous serviez et ça se fait avec beaucoup de discrétion de professionnalisme et c’est peut-être là que j’ai appris les qualités professionnelles qu’il faut avoir dans la vie.
Web TV www.labourseetlavie.com : Vous racontez effectivement beaucoup d’anecdotes, beaucoup aussi de choix que vous faites sur les ouvrages. Vous parlez de René Char effectivement que vous aimez beaucoup. Je vous ai connu finalement à travers votre direction de Schneider, je ne connaissais pas cette partie-là. Comment vous êtes passé de cet amour de la littérature, de ce travail-là, à d’un seul coup l’entreprise. Vous avez fait HEC, vous en parlez au début de notre entretien. Comment ça s’est passé ce passage finalement ?
Didier Pineau-Valencienne : Je dirais que la lecture a toujours pour moi été un support de la vie de tous les jours. Et dans de nombreuses circonstances, la lecture m’a profondément aidé à résoudre les problèmes journaliers que j’avais dans ma vie personnelle ou dans ma vie professionnelle. Donc, je trouve que la lecture est quelque chose de capital dans la vie. Elle contribue à votre formation. Elle vous permet d’acquérir des valeurs et elle vous permet de faire des choix. Par conséquent, dès que j’avais un problème dans ma vie professionnelle ou dans ma vie familiale, je me mettais à lire. Et je retrouvais toujours dans mes grands auteurs ce que je cherchais pour m’aider à résoudre les problèmes du moment.
Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, vous parliez de ces tablettes, de ces jeunes, effectivement aujourd’hui nous en avons tous les deux une voire plusieurs. Aujourd’hui, on sent que ce mouvement a été fort, il y a une génération qui est née avec ces tablettes, qui est née avec ces smartphones, donc pour lui donner à cette génération-là, peut-être à vos petits-enfants, le goût d’y revenir, par quels moyens on pourrait leur donner envie ?
Didier Pineau-Valencienne : Je crois que les tablettes et le portable, c’est maintenant une réalité qui va évoluer elle aussi parce que les habitudes sont faites pour changer. En ce moment, c’est la tablette et le portable dont ils usent et ils abusent, parce qu’ils ne peuvent pas vivre sans. Les choses se décanteront avec le temps. Je ne veux pas supprimer le portable ni la tablette, parce que je crois qu’il y aura toujours une nécessité de les avoir pour aider à résoudre les problèmes. Je vous donnerai un exemple tout à l’heure. Mais les choses peuvent se faire différemment. Moi, ce que j’espère, c’est qu’il va y avoir une utilisation effectivement différente de ce nouveau mode d’accès à la connaissance, parce qu’on est dans une période d’abus, comme je le disais il y a un instant et il va falloir décanter. Mais il va falloir les garder. Je vais vous donner un exemple. L’autre jour là où nous sommes, je cherchais la définition de l’amitié par Alain et j’étais plongé dans mon livre La Pléiade et je cherchais. J’ai un de mes petits-enfants qui passe et qui me dit « qu’est-ce que tu cherches ? » et je lui dis « je cherche la définition… » et en 15 secondes, il me trouve la définition que je cherchais de l’amitié d’Alain. C’est un avantage, mais je vais vous montrer un inconvénient. En écrivant mon livre, je crois que c’est à la fin du livre dans le dernier chapitre, je cherchais une définition de Roger Martin du Gard. Et je cherche dans internet et internet me donne Maurice Martin du Gard et c’était faux. Donc, vous avez une information fausse qui se répand éternellement grâce à internet. Donc, il faut faire toujours très attention avec la recherche de la vérité quand on s’adresse soit à internet, soit même à la recherche véritable, à la source de l’information.
Web TV www.labourseetlavie.com : L’une des périodes que vous racontez et puis ça fait partie de vos origines, c’est bien sûr la Vendée. Vous parlez de deux Vendéens célèbres, mais on pourrait dire qu’il y en a un troisième ici maintenant devant moi, avec Clemenceau, Jean de Lattre de Tassigny. On sait que la Vendée du XVIIIe a souffert bien sûr de la Révolution française. Ça a été peut-être une période un peu occultée. Celle d’aujourd’hui finalement, on s’aperçoit qu’elle entreprend et vous avez fait un parallèle entre celle qui a souffert à cette période-là et finalement celle qui aujourd’hui entreprend et de manière admirable.
Didier Pineau-Valencienne : Oui. Je vais vous dire, le Vendéen est quelqu’un de très courageux. Le Vendéen est travailleur et le Vendéen est fidèle. Avec ces trois qualités, je crois que c’est Chateaubriand qui dans Les Mémoires d’outre-tombe disait « Le Vendéen est un énorme travailleur et on le voit bien derrière sa charge ». C’est-à-dire qu’il laboure. Il travaille pour créer. Et je crois que c’est ça les caractéristiques du Vendéen et moi, j’aime bien ça. Et puis le Vendéen, c’est un fidèle. Dans mon petit village de Vendée à La Caillère-Saint-Hilaire, j’ai toujours des copains qui étaient avec moi quand on avait dix ans et qu’on allait mettre des collets pour attraper des lièvres dans les grands bois. Je suis resté très fidèle en amitié avec eux et ce sont mes copains de toujours. Il faut cette fidélité parce que je crois que là aussi le Vendéen est fidèle. Alors, voilà les tas de caractéristiques qui font que j’aime la Vendée et que la Vendée est un modèle pour la France. Nous avons en Vendée actuellement 4 % de chômeurs quand il y en a 8 en France. Vous avez en Vendée des PME qui se créent tous les jours, malgré toutes les difficultés qu’on a dans notre pays pour créer des PME.
Web TV www.labourseetlavie.com : Oui. On aura l’occasion d’en reparler. On est justement dans cette période capitalisme et travail. Est-ce que ce n’est pas finalement au cœur de nos interrogations collectives aujourd’hui ? On sait que le capitalisme est partout, y compris dans les pays communistes. Il n’y a plus que le capitalisme, on pourrait dire. Mais on voit aussi qu’il est contesté. On est dans un climat qui ressemble quand même un peu à celui des années trente après la crise financière, la crise économique, la crise sociale, la crise de la société. Est-ce qu’aujourd’hui finalement, il faut en trouver ou en réinventer un capitalisme ?
Didier Pineau-Valencienne : Non. Je vais vous dire ma conviction, c’est que le Général de Gaulle avait été un des premiers à nous dire comment il voyait l’évolution du capitalisme. C’était l’association du capital et du travail. Dans la création de richesse, il faut que tous les participants à la création de richesse aient leur dû. Il faut que le capital ait son dû, il faut que le travail ait son dû et il faut que la société dans son ensemble ait son dû et c’est une harmonie, un partage harmonieux pour permettre que le premier objectif soit la création de richesse. Et moi ce qui me désespère en France, c’est qu’on pense à la distribution avant même d’avoir créé la richesse. Commençons par favoriser la création de richesse et prévoyons des dispositifs qui permettent une redistribution harmonieuse de cette richesse et non pas un système confiscatoire comme ceci a été le cas depuis 1981 l’arrivée des socialistes au pouvoir dans ce pays.
Web TV www.labourseetlavie.com : Donc de votre point de vue, on est parti effectivement sur une évolution où le curseur a été trop du côté des actionnaires ? Je pense aux sociétés en bourse qu’on connaît bien.
Didier Pineau-Valencienne : Je pense qu’il y a eu des exagérations des deux côtés, si vous voulez et on n’a pas suivi les conseils du Général de Gaulle qui lui avait bien compris avant tout le monde la nécessité de cette association du capital et du travail. Vous voyez par exemple chez Schneider, je faisais en sorte que tout le personnel puisse devenir actionnaire. Tout le personnel pouvait souscrire à une augmentation de capital tous les ans à l’équivalent d’un an de salaire à un cours de bourse inférieur de 30 % pour favoriser le capital et le travail.
Web TV www.labourseetlavie.com : Mais aujourd’hui quand on regarde ces entreprises du CAC40 que je connais bien, finalement vous avez des fonds de pension américains, vous avez des retraités californiens qui sont les principaux actionnaires de ces entreprises. Il y a très peu de français dans le capital.
Didier Pineau-Valencienne : Je suis désespéré de voir que les 40 sociétés du CAC40 sont toutes détenues par des étrangers. Et aujourd’hui, ils ne sont pas manifestés dans les assemblées générales, peut-être une ou deux fois. Mais s’ils venaient à intervenir systématiquement dans les assemblées générales, nous perdrions le contrôle de nos affaires. Et je dis que c’est le politique qui a voulu ça, de Droite comme de Gauche, en nous faisant des lois qui empêchent la création de richesse et qui s’ingénient à distribuer ce que nous n’avons pas créé, d’où l’augmentation de la dette de la France et des emprunts même dans les sociétés. On emprunte beaucoup trop, on ne favorise pas la création de capital et un capital réparti harmonieusement entre le travail et le capital.
Web TV www.labourseetlavie.com : Oui, puisque vous dites dans le livre que les entreprises, toutes les entreprises ont besoin de fonds propres pour se développer, bien entendu. Mais aujourd’hui, si on ne prend que celles du CAC40, clairement, les fonds propres s’il y en a de plus en plus c’est parce que ces actionnaires américains, anglosaxons, la veuve effectivement en Écosse vient investir dans les boîtes françaises.
Didier Pineau-Valencienne : Les Scottish Widows. Absolument. Ce qui me rend optimiste parce que ça veut dire que les affaires françaises attirent des investisseurs internationaux et qu’eux ont confiance dans la France et l’imagination des Français. On a une capacité entrepreneuriale exceptionnelle. Et je crois que le coté inventif de nos compatriotes est une de nos qualités qu’il faut développer. Or, le politique par ses lois de Gauche comme de Droite, depuis 1981 n’a cessé d’inventer des lois qui sont en contradiction avec le développement du travail en France et le développement entrepreneurial de notre pays.
Web TV www.labourseetlavie.com : Vous avez eu la chance comme dirigeant de grandes entreprises de rencontrer les politiques français. Vous les avez rencontrés tous, à la fois pour de bonnes raisons comme de mauvaises, quand vous vouliez restructurer, quand vous vouliez faire évoluer le groupe Schneider, mais vous les avez vus. Vous avez quelque part l’écoute de ces politiques. Un patron de PME, c’est rare qu’il ait la même écoute. Mais les politiques finalement, on a l’impression qu’ils ne vous entendent pas parce que ce que vous dites aujourd’hui ici, vous leur avez sans doute dit et on ne voit pas un président de la République arriver et dire « on a un déficit d’ETI en France par rapport à l’Allemagne, je mets tout le paquet pour que ça change. »
Didier Pineau-Valencienne : Je l’ai espéré chaque fois et j’ai été déçu chaque fois. Par conséquent, ce n’est pas un problème ni de Gauche ni de Droite. J’ai vu quelquefois à Gauche des gens très compréhensifs sur ces sujets, j’ai vu à Droite des gens très compréhensifs sur ces sujets, mais pour passer à l’action, je n’ai vu personne. Et je dirais même que j’ai vu le contraire. Donc, je trouve désespérant de voir que nous ne sommes pas capables de tirer parti des chances colossales que nous avons. La France est le pays qui est géographiquement placé au meilleur endroit du monde. On a une situation géographique exceptionnelle. On a une capacité de formation de nos élites exceptionnelle sur le plan des ingénieurs, sur le plan de l’entrepreneur, de la création d’entreprise. Je vois tous les jeunes que je rencontre, on a une qualité de capacité d’entrepreneurs exceptionnelle. Et puis on voit tous ces atouts qui sont gâchés et cela me désespère et je supplie les politiques quand ils ont le pouvoir de mettre en œuvre en priorité les actions qui permettraient de développer nos chances. Et les chances, nous en avons !
Web TV www.labourseetlavie.com : Mais est-ce que c’est possible ? Parce qu’on sait que pour une entreprise d’une taille du CAC40, il faut anticiper. C’est ce que vous avez fait vous pour faire de Schneider un leader mondial dans le domaine de l’électricité. Ces changements que vous avez faits, vous avez anticipé sur une évolution que vous aviez analysée.
Didier Pineau-Valencienne : Oui.
Web TV www.labourseetlavie.com : On a l’impression que les politiques, eux de toute façon, en plus avec un quinquennat, ils vont faire un raisonnement à cinq ans, donc le long terme est beaucoup plus compliqué.
Didier Pineau-Valencienne : Je vais vous raconter une anecdote. Quand dans ce processus de concentration des sociétés d’électricité nous avons fait une OPA sur la Télémécanique, là où je suis assis, un samedi matin, je reçois un coup de téléphone du Premier Ministre qui m’interdit de faire l’OPA sur la Télémécanique. Il m’interdit. Je lui ai dit « Monsieur le Premier Ministre, je ferai l’OPA sur la Télémécanique. » Je ne vous dis pas ce qu’il m’a répondu.
Web TV www.labourseetlavie.com : Il faut avoir du courage pour faire ça.
Didier Pineau-Valencienne : Dix minutes après au même endroit, je recevais un coup de téléphone du Président de la République qui me disait « je vous en supplie, ne le faites pas » et je lui ai dit « Monsieur le Président, je le ferai parce que c’est bon pour la France. On est en train de créer un leader mondial. L’Amérique a je ne sais combien de leaders mondiaux, l’Allemagne aussi. La France nous sommes en retard, on a là une opportunité, il faut le faire et le faire tout de suite. » Il me dit « vous le ferez plus tard », je lui ai dit « non, Monsieur le Président. La chance sera peut-être partie. » Nous n’avions pas les mêmes délais, mais c’était le Président Chirac et il m’a laissé faire.
Web TV www.labourseetlavie.com : Ça montre aussi que le politique et l’économie en France sont liés.
Didier Pineau-Valencienne : Mais fallait-il encore un peu de courage. Je vais vous raconter une autre anecdote si ça vous amuse. Dans l’opération Square D aux États-Unis, le président de General Electric me fait venir dans son bureau, je ne vous raconte pas les détails de l’affaire, mais pour me dire « tu ne feras pas l’opération Square D ». Je lui dis « mais si, je ferai l’opération » et il prend son téléphone et il appelle le Président Bush devant moi et il dit au Président Bush « il faut interdire Monsieur Pineau-Valencienne de faire l’OPA sur Square D ». Il termine sa conversation, je prends mon portable, j’appelle l’Élysée devant lui, le Président Mitterrand m’a pris et je lui ai expliqué ce qui venait de se passer, il m’a dit « je m’en occupe. Mais fallait-il avoir un peu de culot et de courage pour appeler devant mon adversaire américain le Président de la République français.
Web TV www.labourseetlavie.com : Ça veut dire aussi qu’on doit être moins naïfs. Parce que ça veut dire que ça se passe à ce niveau-là quand il s’agit de ce type d’entreprise stratégique.
Didier Pineau-Valencienne : Voilà ! Je vais vous dire, dans le monde du business, je me souviendrai toujours de cette phrase du Général de Gaulle au Président Pompidou « Soyez dur Pompidou » parce que dans le business, on ne peut pas être tendre. Il faut être dur. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas être humain parce que je crois avoir été humain dans tous les choix que j’avais faits, mais il faut être dur dans les choix que l’on a faits et quand on pense que ce sont les bons choix.
Web TV www.labourseetlavie.com : Si on revient à Schneider, j’étais du côté de La Tribune, j’étais journaliste à l’époque à La Tribune à ce moment-là quand vous étiez effectivement dirigeant du groupe. Ce qu’on appelle les affaires belges de l’époque ce qui vous a conduit effectivement au tribunal et passer 12 jours en prison, vous êtes un des rares dirigeants à avoir subi cela, cette période-là, elle est aujourd’hui sur internet. Avant de venir vous voir, j’ai regardé. J’ai tapé Didier Pineau-Valencienne et je me dis finalement ça reste encore et on n’a même pas en une le fait que vous ayez été blanchi. Non, on a encore les 2012, on a encore les condamnations.
Didier Pineau-Valencienne : Mais je n’ai jamais été condamné. J’ai été condamné par la presse, par les médias, mais pas par la justice. La justice a pris 25 ans, le procès. J’avais 151 préventions inventées par le policier de service – je dis bien par le policier de service – contre moi. Ces 151 préventions ont été démolies une par une par mes avocats et le juge, parce qu’en Belgique il y a un juge unique, a considéré que j’étais blanc sur toute la ligne. Je crois qu’il y a un ou deux problèmes techniques comme une virgule dans la procédure d’OPA qui n’était pas au bon endroit, mais enfin un grief absolument mineur. Sur le fond des 151 préventions, pas une n’a résisté. Eh bien, voilà. Aujourd’hui 25 ans après, j’ai été blanchi sur toute la ligne et pas un mot dans la presse, pas un mot en public.
Web TV www.labourseetlavie.com : Donc, un décalage entre…
Didier Pineau-Valencienne : Un décalage entre les médias, d’une part, et les faits. Je trouve ça désespérant. J’ai d’ailleurs écrit à Carlos Ghosn au moment de son affaire parce qu’il est tombé dans le même traquenard que moi. Le policier de service m’a appelé pour me dire « voulez-vous venir, il y en aura pour une heure, j’ai trois questions à vous poser » et il venait pour m’enfermer. Eh bien, Carlos Ghosn, ça a été la même chose. Je ne le juge pas sur le fond. Sur le fond, moi c’est la présomption d’innocence qui doit être la règle absolue alors que les médias ne respectent pas cette règle. Il devrait la respecter.
Web TV www.labourseetlavie.com : Et là ça s’est passé avec vous en Belgique, mais quand on connaît le fonctionnement aujourd’hui de ce type de dossier, on voit que les États-Unis n’hésitent pas avec des procureurs à attaquer des entreprises françaises. Aujourd’hui, il y a peut-être des grands patrons français qui ont ce type de risque tout simplement parce qu’ils font des affaires en dollars qui peut-être un jour auront la même chose que vous parce qu’un procureur américain dira « vous n’auriez pas dû commercer avec l’Iran ou avec tel autre pays ».
Didier Pineau-Valencienne : Oui, c’est-à-dire que je crois que dans la mondialisation d’aujourd’hui, on est dans une bataille permanente et on est dans une bataille en fait pour la mondialisation. Le premier objectif dans une stratégie, a-t-on une chance d’être mondial ? Et si on a cette chance, il faut y aller. Mais si on est mondial, on a le risque des procès, de la justice internationale et tous les moyens sont bons actuellement pour vous attaquer. Et vous voyez dans les assemblées générales là encore, c’est là le danger d’ailleurs d’avoir nos actionnaires qui sont tous étrangers. Parce que si nous avions des actionnaires français qui contrôlaient leurs affaires, on serait protégés d’une certaine façon. D’avoir des actionnaires internationaux, on perd cette protection et on est le seul pays à perdre cette protection. Les Allemands contrôlent leurs affaires. Nous, à cause d’une volonté fiscale redistributive à tous crins, nous avons à cause de cela perdu le contrôle de nos affaires et on a perdu la défense de nos affaires. Donc, il y a toute une mentalité à changer.
Web TV www.labourseetlavie.com : Arrêter peut-être de considérer la bourse juste comme la spéculation qui existe au jour le jour, mais de dire qu’on accompagne la vie des entreprises, l’actionnaire individuel.
Didier Pineau-Valencienne : Je raconte une anecdote dans mon livre, comment mon père m’a appris ce que j’appelle la morale de la parole donnée. J’avais sept ans et il m’a amené à la foire aux bestiaux de Parthenay pour voir comment se faisaient les transactions. On se tapait dans la main. Et se taper dans la main, c’était la promesse. Il n’était pas question de ne pas respecter sa promesse. Dans le monde des affaires, on ne respecte pas toujours sa promesse. Pour moi, c’est quelque chose de très important, c’est la nouvelle morale des affaires. S’il y a un nouveau capitalisme, il doit y avoir une nouvelle morale également, on respecte ses engagements. Et nos amis étrangers qu’ils soient américains, anglais, hollandais, italiens, allemands ou japonais, ne respectent pas nécessairement la parole. Donc, il y a toute une morale. Si j’étais patron d’une Business School, j’aurais tout un cours sur ce sujet : une nouvelle éthique en matière de relations des affaires, qui n’existe pas. Et à mon âge, on peut en parler.
Web TV www.labourseetlavie.com : Cette mondialisation, parce qu’on voit bien avec les mouvements sociaux en France, finalement on a l’impression qu’elle n’a pas été expliquée aux Français globalement. La mondialisation en tant que journaliste, je l’ai vue, je l’ai comprise grâce aux dirigeants d’entreprise que j’ai interviewés qui m’ont expliqué qu’ils allaient dans tel pays, qu’ils partaient de la France, qu’ils allaient se développer en Belgique, l’autre qui allait se développer au Canada, tel autre en Chine, mais la plupart des Français l’ignore aujourd’hui. Ils la voient comme une menace. Comment on peut leur réexpliquer que les Français aussi peuvent en bénéficier ?
Didier Pineau-Valencienne : Moi je dis, les affaires, c’est un jeu d’échecs. Le jeu d’échecs, ce sont des mouvements et des mouvements compliqués. Ce n’est pas toujours comme au jeu de dames où on pousse un pion qui est également un jeu compliqué. Mais le jeu d’échecs est encore plus compliqué. Et au fond sur l’échiquier qui est le monde, il faut bouger nos pions pour arriver à la position dominante. Je ne dis pas de tout gagner, on ne peut pas être le seul à gagner, mais être en position dominante. Et on doit apprendre cette stratégie dans tous les métiers et arriver à faire d’un petit métier un métier mondial. On peut être à l’origine de la création de ce métier mondial et à partir de là on peut créer un très grand nombre de secteurs mondialisés et ce qui nous donnera la richesse. Mais faut-il encore que l’on favorise l’investissement dans l’industrie, que l’on explique pourquoi c’est faire. Comme vous me le disiez au début de l’entretien, les sociétés ont besoin de fonds propres, c’est-à-dire que le bénéficie, il y a une partie qui est distribuée, mais il y a une partie qui reste dans l’entreprise et qui permet de créer la nouvelle richesse. Mais c’est pour cela qu’il faut que le personnel soit également associé au capital et je suis très content quand je vois une société où vous avez les actionnaires traditionnels et puis par le biais de fonds de pension ou tout ce qu’on voudra, mais réservés au personnel, qui permettent à tous ceux qui ont participé à la création de richesse de devenir également copropriétaires de l’entreprise en admettant tout à fait le contrôle du capital par un groupe d’actionnaires, les autres étant en annexe bien sûr, mais qui ont leur mot à dire en étant actionnaires.
Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, on parlait de cet espoir, mais quand on regarde le monde des affaires aujourd’hui et je suis bien placé pour le connaître aussi de mon point de vue à moi, de mon côté, ce que je constate, c’est quand même qu’on a l’impression qu’il y a des réformes en France qui arrivent sauf qu’à chaque fois elles sont détricotées à Bercy et on voit cette élite notamment du côté des énarques, il y a récemment une étude qui est sortie comme quoi les étudiants à l’ENA ne connaissaient rien en économie et est-ce que ce n’est pas là le problème de la France ? On en parle souvent. On cherche un bouc émissaire, mais les énarques sont aujourd’hui au Gouvernement, ils sont à Bercy, ils sont dans les entreprises et ces énarques-là, est-ce qu’ils ont finalement une culture économique suffisante ? Vous dans votre vie chez Schneider et dans votre vie professionnelle, est-ce qu’à un moment donné vous ne dites pas que les blocages viennent de là ?
Didier Pineau-Valencienne : Alors, je vous dirais d’abord que trop de sociétés étaient gouvernées par les mêmes écoles. Et ça, je crois que c’est très mauvais. C’est-à-dire, c’est l’école polytechnique ou HEC ou Centrale. Vous avez dans des sociétés, elles sont monolithiques et tous les postes sont distribués à des gens ayant le même diplôme. Je crois qu’il faut de tout pour faire un monde. Quand j’étais chez Rhône-Poulenc, j’ai eu un patron exceptionnel, Renaud Gillet. Je crois avoir tout appris de lui. Il voulait absolument que toutes les divisions soient dirigées par des gens de formations différentes pour que ce soit une sorte de melting pot de formations et qu’il n’y ait pas l’empreinte d’une seule signature. Et je crois que c’est très important. Au niveau de l’État, c’est pareil. Vous avez l’énarchie qui contrôle tout. Tout l’État est contrôlé par énarchie. C’est-à-dire que ce soit le monde politique, d’une part, mais également au niveau du ministère des Finances et à Bercy avec des donjons comme au Moyen-Âge qui contrôlent tout. Je comparais l’État français au petit village italien de San Gimignano où vous avez les cinq ou six tours qui gouvernaient San Gimignano à l’époque de la Renaissance. Nous sommes en France à l’époque de la Renaissance. Il faut casser tout ça et il faut développer la philosophie de Renaud Gillet, il faut de tout pour faire un monde. Dans le monde politique comme dans le monde économique, il faut de tout pour faire un monde. Et comme cela vous aurez des cultures différentes et vous aurez des approches différentes qui augmenteront nos chances de réussite parce que nous n’aurons pas un seul point de vue.
Web TV www.labourseetlavie.com : Surtout dans un monde qui est en pleine transformation, comme on le vit en ce moment avec cette révolution.
Didier Pineau-Valencienne : J’aime beaucoup la définition de l’intelligence par André Gide. André Gide disait « l’intelligence, c’est la capacité d’adaptation ». Cette sclérose que nous avons dans l’organisation de la société française est due à cette mentalité et j’espère bien que le Président Macron va supprimer l’ENA ou en tous les cas, la monopolisation des postes tels que ça a lieu aujourd’hui.
Didier TESTOT Web TV www.labourseetlavie.com : Je suggèrerais de les obliger à faire un stage dans une TPE et bien sûr dans une ETI avant d’avoir leur diplôme.
Didier Pineau-Valencienne : Oui, mais les stages, ça peut être des stages de complaisance.
Web TV www.labourseetlavie.com : Il faut que ce soit efficace. Vous les avez vus dans votre vie professionnelle à Bercy ou ailleurs vous bloquer ?
Didier Pineau-Valencienne : Oui. Je les ai vus, mais même ricanant, les petits jeunes sortant de l’ENA étant dans les cabinets ministériels et voulant vous dicter leur loi. J’ai même été enfermé jusqu’à 5 heures du matin à Matignon une fois et également jusqu’à 5 heures du matin au ministère des Finances. Non, mais c’est des procédés inacceptables. Ça n’existe dans aucun autre pays.
Web TV www.labourseetlavie.com : Leur objectif était de vous faire changer d’avis par rapport à vos opérations ?
Didier Pineau-Valencienne : Absolument. Mais vous savez, je vais vous dire si j’ai résisté même à l’intérieur de Schneider. Un jour, le directeur du personnel de Schneider vient me dire un matin « vous savez, il y a une petite rébellion dans la maison parce que les gens pensent qu’à cause de vous, ils vont être mal avec les pouvoirs publics. » Je lui a dit « mais moi, ça m’est complètement égal. Je veux ne plus dépendre des pouvoirs publics. Mes clients, c’est le monde. Ce n’est plus l’État. » Il faut se libérer de la tutelle de l’État.
Web TV www.labourseetlavie.com : Ce qui n’est pas facile en France, on l’a bien compris. J’ai envie de finir avec vous sur un espoir parce que mon impression, c’est qu’en France, on est en pleine dépression. J’ai la chance d’être sur les réseaux sociaux. La chance ou pas, ça dépend. Mais on voit tellement de désespoir, on a l’impression que la France est en pleine dépression et j’ai envie de terminer avec vous qui avez cette expérience, avec tous ces livres, dans les livres il y a de l’espoir, il n’y a pas de ce type de sujets. Quel espoir peut-on avoir justement pour l’avenir, pour les enfants, pour la génération dont on a dit qu’elle était technologique avec ces tablettes, mais elle a ses défis ? Vous avez eu des défis à répondre, on a tous eu des défis, mais la génération actuelle a des défis, on parle du climat, on a parlé de gouvernance, d’éthique des affaires. Quel espoir pourriez-vous donner justement à ceux qui nous écoutent sur la génération actuelle ?
Didier Pineau-Valencienne : Je vous dirais que je suis peut-être un des seuls à être très optimiste. Je suis très optimiste parce que la France est un grand pays, la France a un potentiel de qualité entrepreneuriale considérable et qu’aujourd’hui je dis qu’on est dans une époque où on gâche nos chances. Le Général de Gaulle avait dans le fil de l’épée cette formule « les grands hommes le sont pour l’avoir voulu », disait-il. Un peu plus loin dans une France à peu près identique, il disait, il ne le disait pas comme ça, mais ça voulait dire cela « les grands pays le sont pour l’avoir voulu. » Et en ce moment, on est dans une phase où j’ai l’impression qu’on ne veut pas être un grand pays. On manifeste une espèce de désespoir négatif comme on le voit par les Gilets Jaunes ou comme on le voit par les manifestations des grèves actuelles. J’appelle ça du négatif. Moi, je voudrais que l’on soit comme quand le Général de Gaulle est arrivé où nous étions plus bas que terre et en 20 ans, il a fait de notre pays un grand pays. On a été le seul pays où il a envoyé son ministre des Finances aux États-Unis payer la dette de guerre. La France a payé la dette de guerre. Aujourd’hui, on fait de la dette pour rien. Je dirais : Français, réveillez-vous ! Français, réveillez-vous et vous serez de nouveau un grand pays. J’ai très confiance, je le dis, dans la jeunesse d’aujourd’hui. J’espère que c’est elle qui va tirer le tapis et faire tomber tous ceux qui aujourd’hui sont les empêcheurs de tourner en rond, qui sont les négatifs et qui empêchent la France d’être le grand pays qu’elle pourrait être. Donc, je suis très optimiste parce qu’il y a toujours une génération qui est là pour relever le défi et j’espère que ce sera la nouvelle génération.
Web TV www.labourseetlavie.com : Merci beaucoup Didier Pineau-Valencienne d’avoir accepté mon invitation et nous avoir reçus.
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