Louis Godron Président de l'AFIC.
Perspectives pour le financement des PME - ETI en France

19 mai 2014 15 h 33 min
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C’est un sujet clé du redressement économique de la France, comment celle-ci va réussir ou pas à financer ces PME-ETI dans la bataille économique qui se joue actuellement ?

Depuis la crise de 2007, le financement des PME en France est en panne, nouvelles règlementations pour les banques (Bâle 3), pour les assureurs (Solvency2), les entreprises doivent trouver d’autres sources de financement.

Nous parlons de cet écosystème du financement des PME avec Louis Godron, Président de l’AFIC (Association Française des Investisseurs pour la Croissance).

Web TV www.labourseetlavie.com : Louis Godron, bonjour. Vous êtes le président de l’Association Française des Investisseurs pour la Croissance, l’Afic, on va parler avec vous de financement de PME. On sait que c’est un sujet important, toujours important, notamment en France. Vous aviez publié, il y a plusieurs semaines, des chiffres qui montraient que finalement ce marché-là n’était pas, n’arrivait pas encore à rebondir. Quel est l’État justement de ce marché ? Il reste déprimé ?

 

Louis Godron, Président de l’Afic : C’est un marché qui reste déprimé, qui ne s’est pas relevé de la crise, et c’est la première fois que cela arrive dans l’histoire de notre métier, donc il y a 30 ans, donc c’est à la fois jeune et vieux. À chaque crise il y a une chute provisoire, temporaire, pendant 18 mois à la fois des levées de fonds, des collectes que nous faisons de capitaux, et des investissements que l’on fait dans l’économie. Depuis le début de cette crise, nos collectes sont en véritable pénurie, on a un manque de l’ordre de 5 milliards par an de levée de fonds qui se traduit par un tarissement des financements que nous-mêmes sommes capables de faire vers les entreprises non cotées puisque c’est notre métier d’apporter du capital aux entreprises non cotées.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : On a mis souvent en avant le fait que, notamment la réglementation pour les banques à  l’issue de la crise justement était plus contraignante et que les banques investissaient moins du coup dans cette partie-là,  donc  donnaient moins d’argent sur cette partie-là, est-ce  que c’est  la  seule explication ?

 

Louis Godron, Président de l’Afic : Ce n’est pas la seule explication, tout d’abord parce que les banques ne sont pas les seuls pourvoyeurs de fonds. Alors évidemment les banques elles ont la double peine par rapport à nos métiers. La première ce sont les ratios de solvabilité qui pénalisent lourdement et injustement d’ailleurs l’investissement dans l’économie réelle, dans les PME, et des ratios de liquidité qui achèvent de les décourager puisque investir dans du capital investissement, c’est investir dans des fonds qui ont dix ans de durée d’engagement, donc c’est tout sauf liquide, et donc c’est extrêmement pénalisé par Bâle III pour les banques. Ceci étant, un certain nombre de banques et de réseaux bancaires, on peut penser au Crédit Mutuel, au Crédit Agricole et quelques autres, maintiennent une activité et en sont très heureux, d’abord parce que c’est rentable, et ensuite parce que cela vient alimenter les entreprises de terrain des régions, et cela correspond bien à certaines publicités que l’on peut voir dans les médias où l’épargnant sait que son argent va financer l’entreprise du coin. Ayant dit cela, il n’y a pas que les banques. On a également les assureurs, on a également les investisseurs étrangers. Les assureurs sont pénalisés sans doute par Solvancy II où le capital investissement a été classé parmi les actifs les plus toxiques, et là aussi c’est une erreur absolue en termes d’analyse de risque et en termes d’utilité économique, et on est très heureux de voir que la Commission européenne envisage désormais, et c’est très récent, de transformer cette classification pour nous ramener dans la catégorie des actions, et ça c’est vraiment quelque chose que l’on souhaite très vivement parce que c’est uniquement comme cela que l’on reverra suffisamment d’argent venir des assureurs, et également, il faut le dire, de la part de quelques institutionnels français, une certaine réticence à investir en actions en général et en actions non cotées a fortiori pour des raisons culturelles qu’il faut que l’on arrive à faire évoluer, et on déploie beaucoup d’efforts auprès de ces institutionnels depuis maintenant six à neuf mois pour leur expliquer ce que c’est le capital investissement, pourquoi c’est à la fois rentable et décorrellé pour eux. En termes de stratégies d’investissement c’est très intéressant et pour l’économie c’est très utile.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Est-ce que… on prend souvent le modèle américain en exemple sur ce financement des entreprises, est-ce qu’il est… lui il a subi aussi la crise, mais est-ce que finalement il s’en sort mieux que le nôtre après ces années de crise ?

 

Louis Godron, Président de l’Afic : Il s’en sort mieux, il s’en sort beaucoup mieux. Les levées de fonds sont reparties beaucoup plus tôt aux États-Unis, elles sont à un niveau normal, voire élevé aujourd’hui. Donc nos confrères américains ont les moyens de financer l’économie américaine, le font à tour de bras. Juste donner un chiffre pour 2012, je n’ai pas encore tous les chiffres de 2013 pour faire la comparaison, en 2012, les start-up, uniquement les start-up américaines ont reçu en capital 49 milliards de dollars. En 2012, les start-up françaises ont reçu 500 millions d’euros, là je fais le cumul des investissements des Business Angels et des fonds de capital-risque. 49 milliards de dollars contre 500 millions d’euros, même si les économies ne sont pas exactement les mêmes évidemment, on voit bien que il y a une disproportion d’un facteur 10 à peu près. Il n’y a aucune raison de se résigner à cette situation. En France il y a beaucoup d’entrepreneurs, plus que dans tout autre pays d’Europe, qui créent des entreprises chaque année. On a une technologie extraordinaire, on a des ingénieurs d’excellente qualité, donc il n’y a aucune raison de se résigner à ne pas avoir une Silicon Valley française. Qu’est-ce qui a fait que la Silicon Valley fonctionne ? Cela a été la combinaison dans les mêmes endroits, la Silicon Valley, et aussi autour de Boston dans le Massachusetts, de recherches de très grande qualité autour des grandes universités, d’un esprit d’entreprise promu par ces grandes universités, à Standford notamment, et de capitaux privés au départ des familles, puis Calpers, les grands fonds de pension californiens, qui sont venus alimenter ce tissu de start-up. Pourquoi en France on n’a pas la même chose ? Est-ce que les Français sont moins entrepreneurs ? Non. Est-ce qu’ils sont moins ingénieux et moins bons en technologie ? Non. La seule chose qui manque, ce sont les ressources en capitaux et une culture de l’investissement dans la PME et la start-up.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc redonner quelque part ses lettres de noblesse à ce type d’investissement. Est-ce que vous diriez aujourd’hui que les PME sont dans une situation un peu de credit crunch parce qu’elles ont été quelque part obligées de chercher d’autres financements, alors certaines le trouvent avec des investisseurs privés, mais certaines sont obligées de reporter des investissements ?

 

Louis Godron, Président de l’Afic : C’est vrai. Alors il y a une notion de credit crunch, une notion d’equity crunch, on va dire, en ce qui nous concerne, mais qui ne touche pas exactement les mêmes entreprises. Le credit crunch il va toucher, je dirais, de manière assez diffuse, un grand nombre d’entreprises. Nous, les entreprises que nous finançons, ce sont les 5 ou 10 % les plus dynamiques de l’économie, c’est celles qui créent l’emploi. Je rappelle que 57 % des emplois en France sont créés par 5 % des PME et ETI les plus dynamiques, et c’est celles-là que nous on finance. Je rappelle également que les 5000 entreprises que l’on a financées en France, qui sont actuellement dans nos portefeuilles, ont créé 80 000 emplois en 2012. Donc nous on s’intéresse à des entreprises qui sont, je dirais, le levain dans la pâte, celles qui font bouger l’économie, les plus dynamiques, que ce soit des start-up ou d’ailleurs des PME qui sont en phase de redémarrage très vigoureux, et c’est celles-là qui sont le plus pénalisées par le manque d’equity et de capital aujourd’hui.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : J’ai rencontré au cours des derniers mois effectivement un investisseur qui disait « Finalement on est allé sur l’amorçage de ces entreprises, mais dans deux ans il faudra trouver ces investisseurs », c’est un horizon finalement assez court, est-ce qu’on va les trouver dans les prochains mois ces investisseurs ? Comment est-ce que vous comptez vous y prendre ?

 

 

Louis Godron, Président de l’Afic : C’est effectivement un véritable sujet de préoccupation parce qu’effectivement l’amorçage aujourd’hui en France fonctionne bien, l’amorçage c’est le financement de l’entreprise qui n’a pas du tout de chiffre d’affaires, donc il y a 17 fonds aujourd’hui d’amorçage en France, c’est plutôt un bon score. Ils sont actifs, ils financent un certain nombre d’entreprises et on voit leur activité grossir, donc ça c’est plutôt bien. La vraie question, c’est que devient l’entreprise amorcée quand effectivement au bout de deux ans, elle commence à démarrer mais qu’elle a encore besoin de capitaux et de capitaux plus importants qu’à l’amorçage parce que, quand ça démarre bien, il va falloir faire des investissements de 5 millions, de 10 millions, de 20 millions, et en France on a beaucoup de difficultés à trouver ces capitaux-là. Conséquence assez paradoxale, on prend le risque de l’amorçage, et là où ça marche, comme il y a plus de capitaux en France, ces entreprises vont passer petit à petit avec un capital étranger. On ne fait pas de xénophobie du tout, on dit simplement que c’est un peu dommage qu’ayant porté le risque du démarrage, on ne retire pas les fruits de l’expansion qui va derrière parce que systématiquement les premiers investisseurs sont quand même pas mal dilués par les investisseurs suivants.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Le mot de la fin, on vient dans l’actualité récente effectivement de publier un décret par rapport à…  certains vont dire que c’est le dossier Alstom, mais qui a suscité cette idée de décret par rapport aux investissements étrangers que le gouvernement a quelque part un droit de veto, est-ce que ce n’est pas un mauvais signal pour les investisseurs étrangers qui sont déjà depuis des années maintenant… ou l’investissement étranger en France en tout cas a baissé, leur dire qu’il va y avoir une nouvelle barrière pour l’investissement parce qu’ils étaient aussi prenants dans vos financements ?

 

Louis Godron, Président de l’Afic : Tout à fait, pour moi c’est plutôt un constat de faiblesse. Je ne pense pas que le protectionnisme, à part sur certains aspects ultra stratégiques effectivement, mais que le protectionnisme en matière de capital ou de commerce soit une bonne solution. Donc si on cherche à se protéger, c’est que l’on est en situation de faiblesse, et pourquoi est-on en situation de faiblesse ? C’est parce que l’on n’a pas assez de fonds propres en France, que le CAC 40 maintenant depuis quelques semaines également est passé sous contrôle étranger d’une certaine manière avec plus de 50 % de capitaux étrangers, on n’a pas assez d’investissement en actions, en capital dans ce pays, ni en capital coté, ni en capital non coté, et que petit à petit, lambeau par lambeau, c’est notre souveraineté économique qui s’en va, la meilleure technologie qui s’en va, les meilleurs entrepreneurs qui s’en vont. Donc il est urgent qu’en France on conçoive qu’il est important d’investir en actions dans la bourse, dans les actions non cotées avec le capital investissement et de remettre une petite partie de notre immense épargne, les 3 800 milliards d’épargne financière, vers le financement en capital de nos entreprises.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Quand vous avez vu, comme moi, se développer à la vitesse grand V le crowdfunding, donc ce financement participatif, avec des tas de plates-formes, effectivement est-ce que c’est un début aussi de nouvelles solutions, de nouvelles pistes, parce que là on voit des particuliers qui peut être vont participer, alors pour des montants modestes, mais est-ce que cela peut être aussi un moyen, un accélérateur ?

 

Louis Godron, Président de l’Afic : On trouve que le crowdfunding apporte quelque chose de positif qui est de créer plus de liens entre le public et les entreprises, et les entreprises innovantes. On est un tout petit peu prudent et on adresse des messages de prudence aux souscripteurs tout de même en leur disant « attention, investir dans les start-up, c’est compliqué. » Des équipes de capital-risque qui ont 20 à 25 ans d’expérience rejettent 99 % des dossiers qui leur sont présentés, et malgré cela, dans le % qui reste, se trompent une fois sur trois, voire une fois sur deux. Donc investir dans des start-up, c’est un acte absolument passionnant, mais éminemment risqué sur le plan financier, donc toujours bien garder cela à l’esprit quand on fait ces investissements et ne pas investir des fortunes colossales là-dedans au regard du patrimoine que chacun a. C’est passionnant à faire, ce sont de très belles histoires, mais toujours se souvenir qu’il y a pas mal de risques quand on investit société par société, et on est mieux à investir tout de même dans des organismes d’investissement diversifié qui sont des fonds de capital-risque.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Merci Louis Godron d’avoir été avec nous.

 

Louis Godron, Président de l’Afic : Je vous en prie.

 

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