Franck Dixmier Directeur Investissements Obligataires Allianz GI : "les marchés ne croient pas aux hausses de taux pourtant elles vont arriver".
Marchés : Evolution de la stratégie obligataire

5 juin 2016 10 h 55 min
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Bourse  et Marchés : Les investisseurs ont montré pas mal de signes de nervosité au cours des derniers mois.

Même si une hausse des taux aux Etats-Unis semble acquise, le calendrier est loin d’être clarifié.

Comme toujours la Réserve Fédérale américaine pourrait tenir compte de facteurs exogènes comme le #Brexit pour ajuster son calendrier. La Banque centrale européenne est elle dans un autre schéma, et de continuer son programme d’aides (QE).

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire financière que deux grandes banques centrales vont diverger.

Je parle de ces marchés avec mon invité Franck Dixmier Directeur Investissements Obligataires Allianz GI.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Franck Dixmier, bonjour.

Franck Dixmier – Directeur Investissements Obligataires Allianz GI : Bonjour.

Web TV www.labourseetlavie.com : Vous êtes Directeur des investissements obligataires chez Allianz GI. On va parler avec vous bien sûr de cette partie-là, importante pour les investisseurs. On ne sait pas trop où on va sur ces taux. On a vu les dernières décisions de la Banque Centrale Européenne. On a globalement des taux négatifs maintenant dans le monde, avec des montants importants. Qu’est-ce qu’on peut dire sur ce marché, déjà pour commencer ?

Franck Dixmier – Directeur Investissements Obligataires Allianz GI : Le constat d’abord, il est absolument évident, c’est que les niveaux de taux actuels sur les emprunts d’État au cœur de l’Europe, quand on considère l’Allemagne par exemple, sont de plus en plus déconnectés des fondamentaux économiques. Alors, ce n’est pas une nouveauté. On vit dans cet univers où finalement les prix obligataires sont excessivement chers, mais ils sont chers pour de bonnes raisons. Alors, il ne faut pas chercher ces raisons d’un point de vue fondamental. Si vous revenez de mars, quand vous regardez les niveaux de taux actuels, ça vous décrit un environnement de déflation et de dépression. Donc, ce n’est pas tout à fait notre scénario. Au contraire, on est plutôt sur une croissance qui s’affermit en Zone euro. Non, les facteurs sont à aller chercher du côté technique, avec ces achats massifs de la Banque Centrale Européenne qui provoquent une distorsion totale du marché.

Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, les investisseurs en même temps, depuis des mois, ils se posent des questions sur cette stratégie justement des banques centrales. Il y a la Réserve Fédérale Américaine qui a encore quelques doutes. La banque centrale en Europe, c’est vrai, elle est encore dans une autre phase. Mais le fait qu’il y ait des phases différentes justement, ça peut créer des risques ?

Franck Dixmier – Directeur Investissements Obligataires Allianz GI : Oui, certainement. On a vraiment la conviction que réellement à partir du mois de juin ou de juillet quand la FED montera ses taux, c’est une quasi certitude, en tout cas, on en a la forte conviction, on va renter dans une divergence des politiques monétaires. La FED a de très bons arguments pour monter ses taux. Quand on regarde un peu d’un point de vue historique, la fonction de réaction de la banque centrale américaine était très dépendante des conditions internes sur son économie. Il était très rare de la voir justifier son action par des considérations externes. C’est vrai qu’on a eu une accumulation des risques en début d’année qui ont quelque part provoqué ce statu quo sur les taux. Maintenant, ces risques se sont atténués. Ils sont toujours présents, mais ils se sont atténués. On constate qu’on a quelques tensions sur les salaires. On est dans une session de plein emploi aux États-Unis, donc la FED va monter ses taux. La Banque Centrale Européenne qui se réunissait encore aujourd’hui nous envoie un message très clair que les taux vont rester très bas pour sans doute un peu plus longtemps que le marché ne l’anticipe. Donc là, on a un environnement de divergence réelle des politiques monétaires. Donc, une pression à la baisse pour les marchés de taux en Zone euro. Mais attention ! Avec des forces haussières tout de même sur notre marché directeur qui reste le marché américain.

Web TV www.labourseetlavie.com : Oui, parce que là, on est obligé de regarder un peu l’histoire. Les boursiers s’en souviennent. À l’époque, on ne parlait pas effectivement de la Banque Centrale Européenne, on parlait de la Buba, la Bundesbank. Et effectivement, il y avait eu cette divergence entre la Bundesbank et donc la Réserve Fédérale et ça avait créé des fortes tensions sur les marchés.

Franck Dixmier – Directeur Investissements Obligataires Allianz GI : Oui, effectivement. Alors, l’enjeu aussi pour les banques centrales, et quelque part c’est un objectif implicite dans leur action, c’est la stabilité financière. Elles ont toutes un objectif commun qui est la stabilité des prix. Ça, c’est vraiment le dénominateur commun. Pour la FED, il y a le plein emploi, mais pour toutes aussi, on sent que la stabilité financière, c’est un objectif en tant que tel. Mais c’est dangereux. C’est dangereux parce qu’il ne faudrait pas non plus que les marchés quelque part influent trop sur les banques centrales qui perdraient de fait leur crédibilité. Donc, le challenge pour les banques centrales, c’est de conserver leur crédibilité, d’adopter une perspective réellement stratégique dans leur action. Mais c’est exactement ce qui va se passer avec l’action de la FED à venir.

Web TV www.labourseetlavie.com : Oui, parce qu’on pourrait dire aujourd’hui que les investisseurs lisent tranquillement, en se disant qu’il n’y a plus d’anticipation finalement de ce que fait la Banque Centrale Européenne. Il n’y a plus cet avantage des banquiers centraux face aux marchés. Là, les marchés ont à peu près une visibilité de ce qui va se passer. Alors que la banque centrale devrait avoir la main, on a l’impression qu’elles n’ont plus la main.

Franck Dixmier – Directeur Investissements Obligataires Allianz GI : Moi, je serai prudent quand même avec cette affirmation. Il me semble quand même que la Banque Centrale Européenne a prouvé sur la période récente cette capacité à toujours surprendre les marchés. Donc, il y a énormément d’ingénierie, de créativité, dans les actions de la Banque Centrale Européenne. Et il faut avouer que le marché anticipe aujourd’hui encore, malgré tout ce qui a pu être fait, encore plus de la BCE. Donc là, on peut mesurer tout de même que son message a été bien compris. Et pourquoi je dis ça ? Regardez le taux à deux ans allemand, il est à – 0,5, donc – 50 BP quand le taux de dépôt négatif de la Banque Centrale Européenne est à – 40 BP. Donc ça prouve que les marchés anticipent encore plus l’avenir.

Web TV www.labourseetlavie.com : Justement, là on rentre dans une période qui est compliquée parce qu’historiquement, on n’a jamais vécu ça, cette période de taux négatifs. Vous venez d’en citer un. Il y a plusieurs échéances en France, en Allemagne, dans d’autres pays. Vous parliez d’aspects techniques en introduction. On ne sait pas trop où on va quand on en arrive là. Ça fait quand même peser un risque supplémentaire parce qu’on n’a pas de visibilité sur où ça va s’arrêter.

Franck Dixmier – Directeur Investissements Obligataires Allianz GI : Oui, à peu près, quand on regarde globalement au sein de l’univers obligataire mondial global, il y a 8 trillions quand même d’encours en taux négatif. C’est 8 000 milliards de dollars, donc c’est absolument considérable. Le taux négatif, c’est un moyen pour la banque centrale d’influer sur le change. Alors, ce n’est pas franchement politiquement correct. On a vu que le G20 ou le G7 quand même essaye de fixer des limites à l’utilisation de ce type d’instrument, avec aussi l’observation absolument évidente, c’est que si tout le monde met en œuvre le même type de stratégie, c’est vraiment un jeu à somme nulle et qui en plus impacte fortement le secteur bancaire. Donc, d’utilisation limitée, mais ça reste une option. C’est une option qui a extrêmement bien marché pour dépresser l’euro face à toute devise et ça a été important pour injecter un peu de croissance, mais aussi pour avoir un petit peu d’inflation importée dans une zone qui connaît quand même des pressions désinflationnistes assez importantes.

Web TV www.labourseetlavie.com : Quand on regarde toujours un petit peu l’histoire sur les marchés, on s’aperçoit que quand la Réserve Fédérale a monté ses taux, il n’y a pas eu forcément un effet sur le dollar ensuite et que le dollar a plus déprécié. Donc, on a toujours aussi ces risques un petit peu derrière, non pas de guerre des changes, mais en tout cas de variations monétaires importantes ?

Franck Dixmier – Directeur Investissements Obligataires Allianz GI : Oui, je pense que tout ça, c’est une question d’anticipation et quelque part de forward guidance, vous savez, cette capacité de la banque centrale américaine à piloter les anticipations des investisseurs. Alors, cette forward guidance, elle a été quand même assez mise à mal parce que le marché ne le croit pas aux hausses de taux. Il est totalement agnostique. Pourtant, elles vont arriver. Donc, il va y avoir une phase de réappréciation des anticipations, donc sans doute des pressions à venir sur les parties courtes et intermédiaires de la courbe des taux aux États-Unis, avec sans doute à la clé une performance du dollar contre toute devise. Mais une fois que ces anticipations seront bien intégrées dans le marché, effectivement là, le dollar pourra évoluer d’une manière beaucoup plus incertaine, moins prévisible.

Web TV www.labourseetlavie.com : Le mot de la fin. Pour les investisseurs justement dans ce contexte de marché obligataire, est-ce qu’il y a des stratégies obligataires qui peuvent être gagnantes et quelles sont un peu les recommandations ?

Franck Dixmier – Directeur Investissements Obligataires Allianz GI : Oui. Alors d’abord, on déconseillerait de prendre des paris directionnels. Aujourd’hui, personne ne sait grosso modo où peuvent aller les taux. Donc attention à ça. D’un point de vue gestion un peu technique, on crée des portefeuilles extrêmement convexes, avec des stratégies optionnelles qui nous permettent de bénéficier à la fois de la hausse et de la baisse des taux. Mais ça a un prix, c’est le prix de l’option à payer. Sur les sous-classes d’actifs obligataires, il y a encore de la valeur sur le crédit, sur le crédit notamment au rendement où vous pouvez capter du 3, du 3,5 % de rendement. Donc, dans un univers de taux nul, c’est toujours bon à prendre et pour des qualités de crédits qui sont tout à fait correctes. Et puis un marché, qui là n’est pas trop un marché de particuliers mais plus d’institutionnels, qui est le marché des obligations indexées à l’inflation qui a énormément souffert de cette phase de désinflation qu’on a pu observer avec la chute des prix de l’énergie notamment. Et quand vous regardez les points morts d’inflation, donc l’inflation à partir de laquelle ce type d’instrument devient intéressant, ils sont extrêmement bas. Donc là, il y a véritablement une opportunité historique à se positionner sur cette classe d’actifs.

Web TV www.labourseetlavie.com : Merci Franck Dixmier.

Franck Dixmier – Directeur Investissements Obligataires Allianz GI : Merci.

 

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