Interview Pierre Sabatier Co-fondateur PrimeView : "Le potentiel d'augmentation de la consommation des ménages en Europe se réduit de plus en plus".
Economie et Perspectives 2014

19 mai 2014 21 h 43 min
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Les Etats-Unis vont-ils confirmer leur bonne santé ? Quel type de croissance désormais aux Etats-Unis, l’Europe est-elle sortie de ses plus bas ? Quelle politique monétaire ? Pays émergents la suite ?

Notre invité pour répondre à toutes ces questions sur l’actualité économique est Pierre Sabatier Co-fondateur PrimeView.


Web TV www.labourseetlavie.com : Pierre Sabatier, bonjour. Vous êtes cofondateur de Primeview, on va parler avec vous d’économie. Pour commencer, si vous voulez bien, on parle des États-Unis avec, bien sûr, on suit de près comme les investisseurs, mais les économistes aussi, la politique monétaire de la Réserve Rédérale américaine, est-ce qu’aujourd’hui de votre point de vue ce calendrier de remontée des taux aux États-Unis est si évident que cela ?

 

Pierre Sabatier, Co-fondateur de Primeview : Il y a deux choses pour la politique monétaire américaine. Vous avez ce que l’on appelle le quantitative easing, ce dont on a tous parlé, à savoir concrètement, la Réserve Fédérale, la banque centrale américaine descend dans sa cave et met des billets de banque et les donne, les donne à qui ? À l’État ou aux organismes qui sont censés refinancer l’immobilier, ça c’est le quantitative easing, ça c’est le tapering dans lequel on est rentré, à savoir en gros la réduction de ce volume d’émissions monétaires pour acheter, en gros pour alimenter l’économie américaine en carburant pour que celle-ci avance plus vite, celle-ci est en train de se réduire, ça c’est la première étape. Elle va continuer de se réduire pour une raison très simple, les États-Unis vont mieux. La croissance américaine est plus installée, alors bien sûr on n’est plus sur les 3 à 4 % que l’on a connus par le passé. Je crois qu’il faut que tout le monde se dise que ces 3 à 4 % là sont du passé et seront très difficiles à aller atteindre, pourquoi ? Parce que le substrat a changé, à savoir le vieillissement de nos populations nous offre un potentiel de croissance qui est moins fort, c’est vrai partout dans le monde, y compris aux États-Unis même si c’est un peu moins vivace chez eux qu’ailleurs. Cela veut dire que le potentiel de croissance tourne autour sans doute de 1,5, 2,5 % au maximum, les États-Unis tournent autour de ce montant, je dirais, de croissance aujourd’hui, donc il est naturel de réduire le carburant que l’on a injecté de manière artificielle dans l’économie, tout simplement parce que la voiture commence à s’auto-alimenter, ça c’est le premier pan. La notion de remontée des taux directeurs, elle sera pour plus tard, et elle est, elle, à mon sens, beaucoup moins certaine tout simplement parce que, encore une fois, le potentiel de croissance n’étant plus que de 2 %, il est tout juste suffisant pour générer suffisamment d’emplois pour que l’économie américaine réponde aux attentes de la population, à savoir une situation proche du plein emploi, avec suffisamment de richesses créées pour tout le monde et que pour tout le monde dans la société américaine puisse en bénéficier.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc là, l’horizon 2015 évoqué effectivement…

 

Pierre Sabatier, Co-fondateur de Primeview : À la limite, je pense que la notion de taux d’intérêt ou de remontée des taux directeurs n’est pas une question d’avenir puisque dans l’ensemble du monde, et le Japon nous l’a bien montré, vous savez, les Japonais sont tombés à 0 quasiment en taux directeur depuis la fin des années 90, le milieu, voire la fin des années 90, et depuis n’ont jamais remonté leurs taux d’intérêt. Lorsque l’on est dans une problématique de vieillissement de sa population avec des potentiels de croissances qui sont relativement faibles, remonter ses taux directeurs me semble relativement anachronique, c’est la raison pour laquelle 2015, 2016, 2017, peu importe, on peut remonter à 0,5, 0,75, 1 %, mais les taux directeurs resteront pas. Et dans cette veine-là, les taux longs resteront bas parce que c’est ce qui intéresse en fait l’économie réelle, l’économie réelle ce n’est pas tellement le taux directeur, c’est le taux long, le taux à 10 ans parce que c’est celui auquel vous allez emprunter pour acheter votre bien immobilier, c’est celui auquel l’entrepreneur va aller chercher de l’argent pour pouvoir investir, et ces taux-là vont rester fondamentalement bas pendant très longtemps. Là encore pour une raison simple, simplement parce que l’économie ne serait pas capable de supporter des taux, des taux d’intérêt qui seraient plus importants. Quand on a un taux de croissance relativement faible, naturellement si les taux d’intérêt sont trop élevés par rapport à cela, cela, je dirais, dissuade l’ensemble des acteurs d’aller chercher de l’argent pour l’investir. Alors on rentre dans un cercle vicieux dans lequel les États-Unis ne rentreront pas à mon avis au regard de leur capacité à avoir mené une très bonne politique économique et monétaire maintenant depuis quatre ou cinq ans.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : On s’est quand même posé des questions sur, forcément dans cette période de taux bas, de bulles qui ont été créées, on voit effectivement sur un certain nombre de prix d’actifs immobiliers notamment à certains endroits en tout cas, il y a eu forcément des bulles ? On ne les connaît peut-être pas encore toutes ?

 

Pierre Sabatier, Co-fondateur de Primeview : Oui, alors les bulles évidemment… C’est d’ailleurs le principal souci aujourd’hui des banques centrales, pas qu’américaine, à savoir que l’on est tous descendu à peu près dans sa cave, la Banque Centrale européenne moins que les autres, mais concrètement pour injecter du carburant artificiel, on l’a injecté, malheureusement le problème des banques centrales, c’est que cet argent que l’on a injecté s’est rarement recyclé dans l’économie réelle. Elle n’a pas provoqué plus d’investissement, plus de consommation, légèrement plus aux États-Unis, pas du tout en Europe ou au Japon encore aujourd’hui. Donc la vraie question, c’est où a été dépensé cet argent ? Essentiellement pour gonfler début d’actifs, donc on a bien de l’inflation, l’inflation du prix des actifs. Aux États-Unis on pense immédiatement au marché des actions, vous savez que l’on casse jour après jour les plus hauts historiques, à savoir que l’on a largement dépassé les plus hauts des années 2000, puis 2007. Donc on est effectivement sur des niveaux de valorisation qui sont probablement trop élevés au regard des fondamentaux, mais à la limite peu importe. Le sujet n’est pas là, le sujet, c’est comment faire pour que l’économie en fait arrive à continuer à fonctionner de manière pérenne et remplir en fait cet objectif primordial aux États-Unis plus qu’ailleurs qui est celui du plein-emploi, et ils ne sont pas très loin d’y arriver aujourd’hui. Donc concrètement qu’est-ce que cela signifie ? Effectivement on peut avoir le dégonflement de bulles d’actifs, comme sur les actions et comme ce que l’on avait connu au moment des années 2000, mais je ne crois pas à une diffusion à l’économie réelle parce que la banque centrale américaine veille au grain, et dès qu’il y aura un risque de ce type, à savoir un ralentissement de l’économie réelle, elle remettra, elle réinjectera du carburant dans la machine.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Vous parliez de la Banque Centrale européenne, c’est vrai qu’elle, elle n’est pas dans ces mêmes dispositions par rapport en tout cas à la croissance clairement, elle s’occupe de l’inflation, alors aujourd’hui on pourrait dire plus tôt de…

 

Pierre Sabatier, Co-fondateur de Primeview : De la déflation.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : De la déflation, on pourrait dire qu’il y a quelques années, le gouverneur de la Banque de France, vous avez parlé d’inflation et on ne l’a pas vraiment vue, aujourd’hui il se pose aussi des questions, est-ce que la Banque Centrale européenne va faire encore plus c’est-à-dire va devenir peut-être, va faire ce qu’a fait la banque, la Réserve Fédérale américaine ? C’est possible ?

 

Pierre Sabatier, Co-fondateur de Primeview : Si on regarde l’histoire, la réponse est clairement non puisque son objectif est essentiellement la stabilité des prix, même si c’est totalement là encore anachronique. Les pressions déflationnistes se matérialisent aujourd’hui, mais notre métier en tant qu’économiste, c’est de pouvoir prévoir, c’est de prévenir. Et cela fait bien longtemps en fait que les pressions déflationnistes pouvaient être anticipées au regard d’un phénomène très simple, l’Europe est frappée de plein fouet par ce qu’a connu le Japon au milieu des années 90, à savoir un vieillissement très accéléré. Or vous savez qu’avec le vieillissement de la population, de manière naturelle, que l’on soit américain, japonais, italien, allemand, français, espagnol, on consomme moins plus le temps passe. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que le potentiel d’augmentation de la consommation des ménages en Europe se réduit de plus en plus, or la consommation des ménages reste le pilier central de la création de richesses dans nos pays, entre 60 et 70 % en fonction du pays dans lequel vous vous trouvez. Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que le potentiel de croissance naturelle est en train de décroître très fortement. On passe de l’expansion naturelle à une phase plus  proche de  la stagnation où le potentiel  de croissance  en Europe  tourne plus  autour de 1 % par an. Lorsque l’on a qu’1 % de croissance par an, imaginer avoir des problématiques inflationnistes relève totalement de l’utopie. Pourquoi l’inflation se crée et à partir de quel moment ? Quand vous avez plus de demandes, quand je dis qu’il y a peu de potentiel de consommation c’est-à-dire qu’il y a peu de potentiel pour que la demande devienne de plus en plus forte. S’il n’y a pas d’augmentation de la demande, il n’y a pas de raison qu’il y ait une inadéquation entre l’offre et la demande et que l’inflation surgisse, au contraire. La vraie problématique aujourd’hui de l’Europe, voire du monde, c’est plus une problématique de surcapacité de production, à savoir que l’on a une grande capacité à produire alors que la demande en face, elle, sans être décliniste, et je dirais progresse insuffisamment rapidement pour justement être en adéquation avec cette grande capacité de production.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Un mot pour terminer sur la Chine, c’est vrai que il y a eu pas mal de questions sur l’économie chinoise, et j’ai vu récemment par exemple que les crédits continuaient à être importants, une progression de crédit quasiment deux fois la progression de la croissance chinoise, clairement il y a encore des questions, des problématiques sur la croissance de cette économie chinoise ?

 

Pierre Sabatier, Co-fondateur de Primeview : Bien sûr, et surtout la fragilité parce que l’on est face à un colosse aux pieds d’argile. C’est toujours la même question, un premièrement difficulté d’avoir des chiffres fiables, mais vous savez, lorsque l’on est économiste, on ne peut construire des scénarios que sur la base de chiffres que l’on a à disposition, c’est un premier problème lorsque l’on aborde la question chinoise. La deuxième, elle est celle d’aujourd’hui ils n’ont pas encore trouvé en fait les moyens pour transformer ce fameux modèle de développement de l’extérieur et qui aussi repose beaucoup sur les investissements vers l’intérieur, à savoir vers la consommation de leurs ménages. Pour l’instant ils n’ont toujours pas trouvé le chemin. La preuve en est, les derniers messages en termes de communication étaient lesquels ? Oui nous souhaitons absolument transformer ce modèle de développement, sauf que les solutions qui ont été mises en place se sont trouvées exactement les mêmes que ce que l’on constate depuis quatre à cinq ans, augmentation des voies ferrées construites, concrètement on ne sait faire en Chine aujourd’hui que soutenir la croissance via de l’investissement en infrastructures, en immobilier. Et ce que vous évoquiez en termes de chiffres du crédit veut dire exactement la même chose. Depuis cinq à six ans, la Chine a adopté, enfin est passée du modèle allemand vers le modèle espagnol, à savoir que l’on subventionne sa croissance en distribuant beaucoup de crédits dans des projets essentiellement d’infrastructures, d’investissement en infrastructures, en capacité de production ou en immobilier résidentiel, ça bien entendu cela ne sera pas durable, cela ne sera pas pérenne. Il faut avoir en tête que les chinois disposent de moins en moins de marge de manœuvre pour poursuivre cette politique. Donc on arrive bientôt au bout de la course. La question, c’est trouveront-ils un chemin réformiste qui leur permettra d’éviter un accident de croissance plus violent que ce que l’on peut entendre aujourd’hui dans le monde des experts.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Le fameux hard landing parfois évoqué à plusieurs reprises…

 

Pierre Sabatier, Co-fondateur de Primeview : Effectivement, on a un point A que l’on connaît, un modèle de développement qui est hérité des 15 dernières années, modèle allemand plus modèle espagnol, on a un point B là aussi que l’on connaît et qui serait un modèle qui repose plus sur la consommation des ménages, la question, c’est est-il possible d’aller… de transformer un modèle aussi excessif d’un côté vers un modèle qui ne ressemble en rien à ce qu’il était initialement sans accident ? Notre conviction forte, c’est que ce sera très, très compliqué, très complexe, en sachant qu’en plus cela réclamerait une remise en question extrêmement profonde des autorités en place, et on sait que l’on n’est pas dans une démocratie, et je ne sais pas si les autorités en place seront prêtes à lâcher, je dirais, suffisamment de lest pour arriver à mener à bien cette réforme, pourtant vitale pour le pays.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Merci Pierre Sabatier d’avoir été avec nous.

 

Pierre Sabatier, Co-fondateur de Primeview : Merci.

 

© www.labourseetlavie.com. Tous droits réservés, le 19 mai 2014.



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