Frédéric Lasserre Directeur C&M Finances : "Pour les services pétroliers, l'année 2016 est terminée".
Pétrole et matières premières : perspectives

16 février 2016 8 h 24 min
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Matières premières et pétrole.

L’inquiétude des investisseurs face au krach des marchés pétroliers s’est répercutée sur les marchés actions, cette baisse spectaculaire n’a pas eu que des conséquences positives avec notamment les risques sur les banques liées à ce secteur.

Comment évaluer les tendances de ce secteur ?

Mon invité pour en parler Frédéric Lasserre Directeur C&M Finances 

Web TV www.labourseetlavie.com : Frédéric Lasserre, bonjour.

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Bonjour.

Web TV www.labourseetlavie.com : Vous êtes directeur chez C&M Finances. On va parler avec vous de marchés et notamment de ces marchés de matières premières. On voit bien ces marchés de matières premières, finalement, ce sont eux qui ont fait peur aux investisseurs sur les marchés action et sur d’autres marchés. On a eu effectivement cet effondrement des cours du pétrole. Finalement, on a l’impression qu’on va aller vers les 20 dollars le baril. Est-ce que c’est effectivement ce qui est en train de se passer sur le marché ?

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : C’est sans doute un niveau que le marché va aller tester. En réalité, le marché du pétrole maintenant montre des signes d’impatience quant à un accord concerté de réduction, puisqu’il a bien compris que ce ne serait pas grâce à un rebond de la demande qu’on pourrait espérer maintenant un réel équilibrage du marché qui est largement excédentaire, il faut le rappeler. Donc, ça ne peut venir que du côté de l’offre et cette offre peine en fait à se réduire. Il y a un effet de réduction par les prix. Donc en fait l’Arabie Saoudite cherche à forcer ses concurrents, plus sensibles qu’elle aux prix de réduire leur production, mais ce que le marché voudrait, c’est un accord plus large, plus ambitieux et plus rapide. Et tant qu’il n’aura pas ce signal-là, lui aussi poussera à la baisse pour aller chercher cet accord.

Web TV www.labourseetlavie.com : Quand on regarde les différents producteurs de pétrole, finalement ils ont intérêt, malgré cette baisse de cours, à produire parce que tel pays a besoin de ça pour ses revenus, tel autre a besoin pour… Tout le monde a de bonnes raisons finalement de produire plus.

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Tout le monde maximise ses revenus. Donc en fait, dans cette période douloureuse où beaucoup de producteurs sont maintenant en dessous de leur coût moyen de production, en fait aujourd’hui la production leur coûte. En réalité, ce qu’ils ne veulent pas, c’est être les premiers à céder, c’est-à-dire qu’en fait, leur propre désistement voire leur propre arrêt de production puisse servir les intérêts de leurs concurrents. Donc, on est dans ce jeu de résistance, y compris jusqu’à peut-être des phases d’abandon et donc de faillite définitive pour ne pas encore une fois être celui qui va rendre service à ses concurrents en termes de parts de marché et en termes de rebond sur les cours.

Web TV www.labourseetlavie.com : On a vu cette bataille Arabie Saoudite – producteurs de schiste américains. On a pu lire un certain nombre d’articles là-dessus, en disant que les producteurs de gaz de schiste effectivement et de pétrole de schiste aux États-Unis étaient dans la panade, pour reprendre une expression familière. Est-ce que c’est le cas ? On l’a vu sur les marchés, mais concrètement, ces niveaux de cours ont affecté ce secteur-là aux États-Unis ?

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Ah oui, alors très largement. C’est d’ailleurs en partie l’une des raisons des violentes corrections qu’on a connues sur les marchés action au sens large du terme. C’est l’ampleur de la correction sur le secteur énergétique américain, à la fois au niveau de la dette, au niveau de la capitalisation des sociétés, au niveau de leur réduction des investissements, ce qui se traduit directement sur le secteur parapétrolier. Les carnets de commandes sont tombés quasi à zéro pour certains domaines bien précis. Donc effectivement, ce secteur-là souffre énormément. Cela dit, il montre quand même des signes de résistance supérieurs à ce que le marché pouvait encore attendre il y a un an. Alors on peut l’expliquer par des couvertures à terme qui datent d’il y a un an ou deux ans qui permettent encore d’avoir en fait un prix moyen du pétrole vendu supérieur à ce qu’affiche le marché. On l’explique aussi par une amélioration de la productivité des puits. On a recentré les puits sur les zones les plus productives. Et puis, des programmes, il faut le dire, très ambitieux de réduction de coûts qui passent par des réductions de personnel, des pressions fortes sur les compagnies de services de ces sociétés. Donc en fait, la douleur est forte, mais la réduction de production n’est toujours pas à la hauteur de ce qu’on espérait il y a encore peut-être 12 mois.

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc, ce qui veut dire qu’on reste aujourd’hui toujours sur ce marché, avec une offre abondante de pétrole sur les marchés mondiaux.

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Alors, l’offre reste excédentaire. Cela dit, l’excédent s’est sensiblement réduit. On est parti d’un excédent de plus de 2 millions de barils / jour. La demande mondiale ou l’offre mondiale se situe autour de 94 millions barils / jour. Donc 2 millions, c’est à la fois peu et beaucoup. C’est beaucoup historiquement comme surplus, c’est peu relativement à l’offre mondiale. Mais il y avait 2 millions d’excédent. On est aujourd’hui tombé plutôt autour de 1,3 – 1,4. Donc, on a déjà fait 1/3 du chemin à faire, il reste 2/3 à faire. Ce premier tiers est venu essentiellement des pétroles de schiste américains, mais pas seulement. Il y a aussi des producteurs non OPEP qui ne font pas du schiste, mais qui ont des projets couteux type offshore très profond ou sable canadien qui souffrent énormément et qui ont réduit leur production. Il reste encore 1,3 million de barils par jour à sortir de ce marché pour le ramener à l’équilibre.

Web TV www.labourseetlavie.com : Quand on regarde ces marchés pétroliers dans la durée, on peut voir ce type de phénomène qu’on a en ce moment de baisse spectaculaire, mais on sait aussi que ça peut rebondir de manière particulièrement brutale. Puis, on se dit, vous parliez d’investissement, que les investissements qui n’ont pas été faits au cours des derniers mois, voire au cours des dernières années, à un moment donné, ils vont impacter le prix du pétrole.

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Alors en fait, ça dépend du type de projet, donc du type de producteur, qui va céder le premier. Donc, on se focalise aujourd’hui beaucoup sur les pétroles de schiste américains, mais ils ont une caractéristique. C’est une technique de production qui est très rapide à mettre en œuvre. Donc, elle est rapide à arrêter, mais elle est rapide à redémarrer. Donc, ça veut dire même si aujourd’hui les producteurs de schiste américains réduisaient leur production, voire pour certains arrêtaient parce qu’ils seraient en faillite, en réalité si les cours du pétrole remontaient au-delà de 50 dollars le baril, dans un délai de 6 à 12 mois, on pourrait voir cette production commencer à remonter. En revanche, si ce sont des producteurs qui font du pétrole conventionnel, de l’offshore très profond, des sables asphaltiques, de l’onshore, mais couteux, qui eux venaient à arrêter des projets, ce type de projet, on ne peut pas le redémarrer sous un délai de 6 à 12 mois. Il faut, encore une fois, plusieurs années peut-être de cours élevés pour prendre les décisions et ensuite de nouveau, plusieurs années pour passer de la décision à la production. Donc, c’est peut-être ça que l’Arabie Saoudite vise en fait. Au-delà des schistes américains, c’est peut-être par exemple l’offshore très profond brésilien qui maintenant est clairement en danger.

Web TV www.labourseetlavie.com : Ça veut dire qu’il pourra donc y avoir effectivement un rebond à un moment donné. Toujours difficile de l’estimer. En attendant, on voit le secteur parapétrolier effectivement affecté par ces manques d’investissements. Là, c’est difficile d’avoir de la visibilité dans ce domaine ?

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Alors, c’est difficile, tout à fait. Cela dit, pour l’année 2016, la messe est dite. Les carnets de commandes sont vides et ils vont le rester. Tous les producteurs de pétrole, schiste, conventionnel, dans l’OPEP, en dehors de l’OPEP, ont tous annoncé des programmes de réduction du Capex, donc de dépenses d’investissement, encore significatives. En 2015, ça a été – 30 %. Pour 2016, on pensait que ce serait moins. En fait, ça va être plus. On parle maintenant de plutôt de nouveau 40 % de réduction après 30 % de réduction. Donc autant dire que pour les services pétroliers, l’année 2016 est terminée. Maintenant, on se projette plutôt sur 2017 voire 2018. Donc, il est clair que pour certains acteurs de ce secteur, on est maintenant, le pronostic vital est quasi engagé.

Web TV www.labourseetlavie.com : Pour l’investisseur qui regarde ces marchés-là, on voit les grandes banques d’affaires parier sur ce fameux pétrole à 20 dollars. C’était leur pari, on l’a vu. Certaines d’entre elles l’évoquaient. Comment on peut investir sur ces marchés-là ? Ça paraît compliqué.

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Alors, c’est d’autant plus compliqué qu’en fait, même pour ceux qui pensent qu’un rebond important des cours du pétrole, sachant que maintenant important, effectivement, 10 dollars représentaient quasiment 30 % de hausse, donc ça peut aller très vite, des performances assez importantes sur ces niveaux de prix très bas. La difficulté, c’est pour attraper ce rebond éventuel effectivement, dans la mesure où on a sur le pétrole et sur les matières premières en général, des courbes à terme qui en fait passent en reports très importants quand on a des prix spot qui sont très faibles. La réalité, c’est que tenir la position dans le temps coûte de l’argent. Ce n’est pas un spot, comme sur les marchés action. Il faut rouler sa position tous les mois et ce roll de position coûte déjà très cher. Donc en fait, on va manger une partie du potentiel de rebond pour tenir la position. Donc, ça passe plutôt vers des positions action, où là on est sur du vrai spot, et on prendra le rebond sur des valeurs DNP américaines. On prendra le rebond sur certaines sociétés de services ou sur des majors pétrolières ou bien, un moyen plus détourné, mais tout aussi efficace, c’est de se positionner sur les devises qui sont très corrélées au cours du pétrole.

Web TV www.labourseetlavie.com : Un mot pour terminer rapide. Il y a eu les résultats de Total. On a pu lire résistance sur ces résultats-là. C’est ce que vous pensez ?

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Oui. Mais la résistance vient du fait qu’on est sur une société diversifiée et qui tire sa résistance de l’aval de la production et non pas de l’amont. Donc, ce n’est pas sa partie production équivalente aux pétroliers américains. C’est sur le raffinage, la distribution, les lubrifiants, la partie limite pétrochimie qui fait le résultat aujourd’hui et qui fait la bonne résistance de Total et des majors pétrolières en général.

Web TV www.labourseetlavie.com : Merci Frédéric Lasserre.

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Merci.

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