Christian Parisot Chef économiste Aurel BGC : "Les marchés vont devenir plus sensibles aux évènements politiques".
Marchés et économie : analyse post "Brexit"

29 juin 2016 11 h 39 min
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Si l’économie mondiale n’était pas en grande forme depuis plusieurs mois, malgré les interventions des banques centrales, le Brexit est venu ajouter à la confusion sur les perspectives 2016.

Comment analyser l’impact de ce Brexit et au delà comment se porte l’économie mondiale ?

Mon invité pour en parler est Christian Parisot Chef économiste Aurel BGC.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Christian Parisot, bonjour.

Christian Parisot – Chef économiste Aurel BGC : Bonjour.

Web TV www.labourseetlavie.com : Vous êtes chef économiste chez Aurel BGC. On va parler avec vous, bien sûr, de ce Brexit, donc post-Brexit. Nous sommes au lendemain de cette décision des Anglais de sortir de l’Union Européenne. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’il faut avoir en tête en priorité ? Des incertitudes à venir ? Un manque de visibilité ? Qu’est-ce qui est le plus criant finalement ?

Christian Parisot – Chef économiste Aurel BGC : Alors déjà, c’est difficile aujourd’hui de dire est-ce qu’on est sur un début de crise financière ou on est sur une simple correction, qui a été violente, qui a été très violente sur cette annonce, mais « une simple correction » sans conséquence important derrière. Ce qui est sûr, c’est que nous, en tant qu’économistes, on va dire, il y a une conséquence. Il y a quand même un élément supplémentaire d’incertitude sur la croissance mondiale dans son ensemble et une économie britannique qui va quand même souffrir. Alors, ce ne serait pas forcément sur le fait de sortir, mais surtout du fait de l’incertitude générée et de la réaction de la livre qui a été particulièrement violente, qui va déstabiliser un petit peu l’économie. Donc, on est quoi qu’il arrive sur le deuxième semestre, sur des révisions plutôt à la baisse de la croissance en Grande-Bretagne et indirectement plus ou moins forte sur l’économie mondiale. Mais l’élément clé, qui fera que c’est grave ou pas grave, ça sera en grande partie la réaction des marchés. Puisqu’on l’a vu de par ce que nous disent les banquiers centraux, ce qu’ils appellent un durcissement des conditions financières, mais ce qui veut dire derrière, c’est si le dollar venait à exploser, à s’apprécier très fortement, la livre chutait, défiance vis-à-vis des actifs européens, on serait dans une nouvelle crise financière et derrière si le dollar s’apprécie, chute des matières premières, chute des émergents. Donc, on repart dans des scénarios beaucoup plus catastrophiques.

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc là, c’est effectivement la clé qu’il n’y ait pas de mouvements trop importants effectivement sur par exemple le dollar et qui fasse cette contagion sur tous les actifs finalement.

Christian Parisot – Chef économiste Aurel BGC : Oui, parce que ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’on est toujours dans un environnement où on n’a pas de visibilité sur la croissance mondiale. Si vous aviez 3 % de croissance aux États-Unis, franchement que le Royaume-Uni tombe en récession, je ne vous dis pas que ça ne ferait pas pleurer un petit peu, mais ça ne serait pas dramatique. Là aujourd’hui, on sait qu’on est sur une croissance faible aux États-Unis autour de 2, ce que nous dit la banque centrale américaine. Donc 2 % de croissance, une Europe qui sort tout juste un petit peu, qui reprenait un petit peu de vigueur. Donc derrière, si je vous fais des marchés financiers qui vont dans tous les sens, un durcissement des conditions de crédit, une défiance vis-à-vis des banques européennes, des émergents qui rechutent, je suis vraiment dans un scénario beaucoup plus noir. Donc moi, je ne suis pas sur scénario. J’espère que ça va se stabiliser. Mais c’est vrai que le comportement des marchés sur les quinze prochains jours, la réponse des politiques européens, ça sera déterminant. Est-ce qu’on choisit la version « soft » où on dit à l’Angleterre, « On vous laisse le temps de sortir », c’est bien économiquement, mais ce n’est pas bien pour la construction européenne ou alors à l’inverse, une position très dure, en disant « Vous sortez rapidement », ça, c’est bien pour la construction européenne, mais c’est négatif pour l’économie. Vous voyez, il y a vraiment une échelle de réponse de la part de l’Europe et tout ça fait, si on mélange un peu tout ça, on aura notre scénario économique du deuxième semestre. Mais c’est vrai qu’on part vers beaucoup d’incertitude. Et puis élément supplémentaire pour les marchés, les marchés sous-estimaient énormément les risques politiques, on se fiait aux sondages. Donc maintenant, je pense que les marchés vont devenir beaucoup plus sensibles. On sait qu’il y a des élections aux États-Unis. Est-ce qu’on peut se fier aux sondages américains ? Encore moins a fortiori après ce Brexit. On sait qu’il y a des élections l’année prochaine en Europe, en Allemagne et en France. Donc tout ça fait qu’on est véritablement sur une nouvelle source d’incertitude qui peut générer de la volatilité et surtout il ne faut que cette volatilité entraine des révisions à la baisse sur les prévisions économiques.

Web TV www.labourseetlavie.com : Alors avant ce Brexit, il y avait eu, ce que n’avait pas fait la Réserve Fédérale Américaine, à savoir remonter ses taux et là, on a l’impression que compte tenu de ce contexte, on est maintenant en 2017. Peut-être ! On ne sait plus tellement finalement ce que va faire ou pas faire la Réserve Fédérale Américaine.

Christian Parisot – Chef économiste Aurel BGC : Alors, c’est difficile, c’est vrai, aujourd’hui de se prononcer. Alors, tout dépendra aussi de la réaction des marchés. Tout le monde se regarde quelque part. On est dans les perspectives les plus difficiles aujourd’hui. Parce que si les marchés réagissent peu, je vous dis, ce n’était qu’une correction, dans deux semaines, on n’en parle plus – on va faire un scénario rose – si vous êtes dans un scénario-là, si l’économie américaine de son côté publie des statistiques plutôt bonnes, on peut espérer que d’ici septembre ou octobre, on ait une nouvelle hausse des taux. À l’inverse, si c’est un cataclysme financier, il est évident que la FED ne fera rien et n’alimentera pas l’incertitude. Donc, on est véritablement sur des scénarios très incertains, même au niveau de la banque centrale. D’ailleurs, elle-même nous l’a dit : on n’a pas de visibilité sur la croissance. Alors, c’est quand même difficile aujourd’hui, on ne va pas être plus intelligent qu’eux. Donc eux-mêmes nous disent, on ne peut pas faire de projection, on n’a pas de certitudes sur nos scénarios économiques, donc là il y a une vraie incertitude qui s’est rajoutée. Donc sur fin juillet, je suis tranquille, je pense qu’il y a peu de chances qu’ils montent les taux. Peut-être en septembre. Il ne faut pas oublier que les marchés, les anticipations de marché, peuvent se retourner véritablement, mais c’est un peu autoréalisateur. C’est-à-dire que ça dépendra en partie des comportements. Par contre, c’est un élément très positif au marché américain. Parce que si vous avez les chiffres de l’emploi qui se redressent, si vous avez des indicateurs économiques qui sont beaucoup plus positifs aux États-Unis, vous avez le beurre et l’argent du beurre pour Wall Street, pas de hausse des taux, croissance qui s’améliore. Là par contre, ça pourrait être un élément de stabilisation pour la bourse américaine et pour les marchés financiers. Mais il faut aussi que les chiffres de l’emploi s’améliorent et pour l’instant, on n’en est pas encore là.

Web TV www.labourseetlavie.com : Pour l’investisseur, il y a toujours cette même question d’aller trouver effectivement des actifs avec du rendement. Ce qui se passe sur les marchés obligataires, on l’a dit. On a vu le Bund en territoire en territoire négatif : pas évident sur ces marchés-là. Et les marchés actions, on se dit, pas évident non plus compte tenu de cette volatilité liée au post-Brexit.

Christian Parisot – Chef économiste Aurel BGC : On est vraiment dans une situation très difficile en termes d’allocation d’actifs. C’est-à-dire que si vous ne voulez pas prendre de risques, ça vous coûte de l‘argent, vous avez des taux négatifs. Donc, c’est très compliqué de ne pas prendre aucun risque. Et si vous prenez du risque, comme je n’ai pas de visibilité sur la croissance mondiale, parce que pour moi la bourse aujourd’hui des grandes entreprises, c’est essentiellement, vu leur diversification en termes de pays, la croissance mondiale qui compte, eh bien, je n’ai pas de visibilité sur la croissance mondiale. C’est-à-dire au pire, j’ai une espérance de rendement qui est relativement faible, avec des facteurs de risques qui peuvent arriver brutalement comme on a vu avec ce référendum britannique. Donc aujourd’hui, on est vraiment dans la situation, je ne prends pas de risque, ça me coûte de l’argent ; je prends un peu de risque, j’ai une source de volatilité très forte, donc j’ai un couple rendement/risque qui n’est pas très bon. Donc aujourd’hui, c’est vrai que c’est ce qui explique un peu les mouvements de marchés. C’est-à-dire que vous dire, je suis très haussier sur la bourse, il faudrait que j’ai une visibilité sur la croissance mondiale, je suis certain que ça va s’accélérer, que 2017 sera meilleure que 2016. Donc, vous voyez, je n’en suis pas certain aujourd’hui, donc aujourd’hui j’ai ce manque de visibilité, donc je ne fais pas d’arbitrage. Donc, on voit la bourse, elle fait du yoyo comme ça, sans grands mouvements directionnels et de l’autre côté, je ne suis pas incité à vendre mes obligations. Certes, elles ne me rapportent pas grand-chose, mais c’est quand même finalement une protection face aux incertitudes économiques. Donc aujourd’hui, très clairement, ce qui s’est passé au Royaume-Uni, ça retarde un éventuel arbitrage obligations vers les actions. Ça n’incite pas les agents économiques ou les investisseurs à prendre plus de risques et donc c’est un vrai frein aujourd’hui indirectement à cette reprise, à cette amélioration des marchés. C’est clair qu’aujourd’hui, maintenant, tout le monde va dire, la BCE, même si l’inflation repart un peu, la BCE ne va pas mettre fin à sa politique ultra-accommodante, la FED ne fait rien, donc c’est un élément supplémentaire d’attentisme sur les marchés et ça, c’est vraiment préjudiciable naturellement pour les prochaines semaines.

Web TV www.labourseetlavie.com : Le mot de la fin, les banquiers centraux, ont-ils encore les moyens de tenir ou de faire tenir ces marchés parce qu’on a l’impression qu’ils arrivent un peu au bout de leur politique monétaire ?

Christian Parisot – Chef économiste Aurel BGC : Très clairement, il y a une vraie dichotomie entre la perception des banquiers centraux l’année dernière et cette année. L’année dernière, c’était « On achète les banques centrales, politique accommodante, ils vont racheter le marché », donc on était très tranquille. Franchement, on ne regardait même plus les indicateurs économiques. On ne regardait même plus les chiffres de l’emploi aux États-Unis. On était tranquille, on avait un mouvement qui était assuré. Aujourd’hui, c’est l’heure des doutes, l’heure des doutes sur leurs capacités à relancer réellement l’économie. Et c’est vrai que les discours un peu anxiogènes de Mme Yellen, pour moi c’est anxiogène parce qu’elle nous dit « Je n’ai pas de visibilité ». Alors, si une banque centrale me dit « Je n’ai pas de visibilité sur la croissance américaine », comment voulez-vous que moi j’investisse sur l’économie américaine ? M. Draghi nous dit aussi « Ça va être efficace », mais il n’entre pas dans ses prévisions économiques. C’est l’atout paradoxe. Il dit « Ma politique monétaire est efficace », il ne la rentre pas dans ses prévisions pour les prochaines années. Donc, est-ce que c’est vraiment efficace ? On voit qu’aujourd’hui, ils ont des discours qui calment forcément les investisseurs et puis derrière, la grande question : est-ce que c’est efficace tout ce qu’ils ont fait ? Est-ce que ça va relancer l’économie ? Si en plus, je rajoute une petite dose de choc extérieur comme le Brexit, on est véritablement sur un effet banque centrale qui s’atténue et donc finalement qui ne rassure pas les investisseurs.

Web TV www.labourseetlavie.com : Prudence pour cet été. Merci Christian Parisot.

 

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