Automobile : Interview de Frédéric Fréry Professeur de Stratégie ESCP Europe.
La stratégie de Renault et ses conséquences : "Dacia éclipse l'effondrement de Renault"

25 janvier 2013 10 h 01 min
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Renault a récemment évoqué ses discussions avec les syndicats du groupe pour faire face à la crise du marché automobile en Europe et en France.

Selon le groupe “Renault et ses organisations syndicales représentatives (CFDT, CFE-CGC, CGT, et FO) ont tenu ce mardi 22 janvier une 7ème réunion de négociation. Lors de cette séance, Renault a proposé le maintien des salaires en 2013 au niveau de 2012, une augmentation de 0,5% en 2014, de 0,75% en 2015 et une évolution de l’intéressement pour en renforcer ses dimensions solidaire et rétributrice en fonction des résultats de l’entreprise. Dans le cadre d’un accord de compétitivité, les sites français se verraient affecter au-delà des volumes provenant du plan de gamme renouvelé de Renault, des volumes supplémentaires en provenance des partenaires du Groupe, à hauteur de 80 000 véhicules/an à l’horizon 2016. Une prochaine séance se tiendra le 29 janvier, pour examiner les propositions syndicales et poursuivre la négociation sur le projet d’accord“.

 La stratégie de Renault après celle de PSA est en question, nous évoquons les choix stratégiques du groupe Renault (Alliance Nissan Renault), au cours des dernières années et ses conséquences, le succès non prévu de Dacia, le management de la société, avec Frédéric Fréry, professeur de Stratégie à l’ESCP Europe.

Selon lui ““Renault s’effondre, Dacia monte et cette montée de Dacia éclipse l’effondrement de Renault”.

Notre interview TV : 

Web TV www.labourseetlavie.com : Frédéric Fréry, bonjour. Vous êtes professeur de stratégie à l’ESCP Europe on va parler avec vous du secteur automobile et notamment la stratégie de Renault qui fait l’actualité, on pourrait dire peu de temps après PSA, Peugeot-Citroën, sur des questions de stratégie du groupe, comment vous analysez ce qui est en train de se passer où on voit donc le groupe en train de négocier avec les syndicats sur à nouveau une baisse d’effectifs et en espérant que les sites français soient maintenus, il y a un gros débat là-dessus, comment on en arrive là sur un groupe comme Renault, on doit parler d’ailleurs de l’alliance Renault Nissan ?

Frédéric Fréry, Professeur de Stratégie à l’ESCP Europe : Moi, ce qui m’étonne, en tant que professeur de stratégie, c’est que la stratégie de Renault en fait, officiellement telle qu’elle avait été annoncée, n’a pas fonctionné. Et ce qui fonctionne chez Renault, c’est-à-dire essentiellement Dacia, ne faisait pas partie des objectifs stratégique. Donc c’est amusant de voir qu’un succès a été obtenu un peu par inadvertance alors que ce qui était officiellement la stratégie n’a pas marché. Et sur les sites français, le problème évidemment c’est que, comme vous le savez, les modèles Dacia ne peuvent pas être produits en France, ne serait-ce que pour des raisons de coût de production, et donc la fermeture des sites français est la conséquence en fait du fait que on pourrait croire que Dacia est en train de cannibaliser Renault en première analyse, mais ce n’est pas tout à fait cela. Si on regarde bien, leurs gammes ne sont pas véritablement en concurrence les unes avec les autres, le phénomène auquel on assiste plutôt c’est que Renault s’effondre et Dacia monte, et cette montée de Dacia éclipse l’effondrement de Renault, or le modèle économique de Dacia impose que la production, malheureusement, ne se fasse pas sur le territoire national, et cela c’est un vrai problème.

Web TV www.labourseetlavie.com : On se souvient des différents plans, on pourrait regarder ensemble les différents documents publiés par Renault au cours des dernières années, et justement sur la Logan on voyait cette part de marché quelque part c’est…, je ne sais plus si c’était 800 000, mais c’était un poids très important par rapport à où en était Renault à ce moment-là, dont on voyait bien la place qu’allait prendre petit à petit et la place qu’elle a pris aujourd’hui, Dacia…

Frédéric Fréry, Professeur de Stratégie à l’ESCP Europe : Et en soulignant bien que ce n’était pas voulu c’est-à-dire que la Logan c’était une voiture qui était faite pour les pays émergents et pauvres, pour utiliser une usine qu’ils avaient récupérée en Roumanie, qui a été faite de bric et de broc avec des pièces qu’ils avaient récupérées ailleurs, ils appelaient ça une voiture Frankenstein, et de fait, elle n’a pas paru tellement séduisante, intéressante pour les grands décideurs de Renault, et ce n’est qu’après, lorsque cela a vraiment bien marché, qu’il a commencé à y avoir des importations parallèles, qu’ils ont officialisé sa venue en France, et ils ont bien fait parce que c’est ce qui sauve alors actuellement le groupe, le problème c’est que, une nouvelle fois, ce n’était pas une volonté, cela a été fait malgré eux.

Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, on pourrait dire que, je parlais de l’alliance Renault Nissan, que du côté effectivement de la stratégie du groupe, les syndicats aujourd’hui reprochent au PDG Carlos Ghosn justement peut-être de s’être trop occupé de Nissan, est-ce que Renault finalement n’a pas été le parent pauvre de l’alliance sur les différentes années, finalement quand on voit en termes de produits,… ?

Frédéric Fréry, Professeur de Stratégie à l’ESCP Europe : Là, il y a un retournement de l’histoire, il faut s’en souvenir, c’est-à-dire que Nissan a été sauvé par Renault, en fait par le gouvernement derrière français, mais objectivement Nissan a été sauvé par Renault, et maintenant ce qui se passe, c’est que c’est plutôt Nissan qui sauve Renault. On peut s’interroger quand même légitimement d’avoir quelqu’un qui dirige deux entreprises qui sont chacune un bout de la planète, ce n’est évidemment pas facile à faire, jusqu’à présent M. Ghosn le fait, maintenant évidemment cela veut dire que de temps en temps on fait des arbitrages, et ce que dit la CFDT, moi je ne sais pas, ils sont à l’intérieur, ce que l’on constate en tout cas, c’est sûr, c’est que si vous enlevez à Renault la béquille qui est Dacia et la perfusion qui est Nissan, Renault tout seul se retrouve dans une situation qui est encore plus critique, à mon sens, que celle de PSA. Il ne faut pas oublier qu’une partie des chiffres de Renault sont réalisés à l’étranger, en Russie, au Brésil, avec des véhicules qui sont en fait chez nous vendus sous la marque Dacia. Donc ce qui reste de Renault, canal historique je dirais, est réduit à une portion congrue.

Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, on le sait, dans l’automobile ce qui compte avant tout, c’est bien sûr le succès des produits, en l’occurrence, là on pourrait dire qu’au cours des dernières années Carlos Ghosn lui-même a lancé un certain nombre de nouveaux modèles, on pense à la Laguna dans le haut de gamme, et il y avait un espoir dans ce haut de gamme quand on compare à ce que font les constructeurs allemands notamment, pour reconquérir un marché cela s’est passé peut-être au pire moment mais il n’y a pas eu d’effet en tout cas.

Frédéric Fréry, Professeur de Stratégie à l’ESCP Europe : Carlos Ghosn effectivement avait une stratégie officiellement affichée qui était une stratégie de marge, qui était une stratégie de montée en gamme, et la Laguna en était le symbole en quelque sorte, et on est obligé de constater effectivement que cela a été un échec et que Renault n’est absolument pas sauvé aujourd’hui par les véhicules de marge et de montée en gamme, mais il est sauvé par des véhicules low-cost roumains, ce qui est quand même un retournement d’histoire surprenant et en tout cas oui, une espèce de réussite par inadvertance qui mérite que l’on s’y penche deux minutes.

Web TV www.labourseetlavie.com : O parlait de Nissan, effectivement cela reste dans les cartons de se dire « est-ce que il pourrait y avoir une production Nissan en France ?

Frédéric Fréry, Professeur de Stratégie à l’ESCP Europe : On parle de Mercedes aussi.

Web TV www.labourseetlavie.com : Est-ce que c’est faisable c’est-à-dire, on parlait autant dire pour Dacia ce n’est pas possible compte tenu de ce que l’on a dit, mais est-ce que plus de… ou de la production, on sait que Nissan par exemple, il y a une usine Sunderland en Angleterre qui est très, très rentable, est-ce que l’on peut faire la même chose en France ?

Frédéric Fréry, Professeur de Stratégie à l’ESCP Europe : Qui est très rentable avec, je crois, ils ont annoncé un âge moyen de 28 ans, c’est-à-dire qu’il y a aussi des conditions locales qui ne sont pas tout à fait les mêmes, un droit du travail qui est très différent, je ne suis pas sûr que cela soit totalement importable, tout cela. Maintenant, oui, comme vous le savez, le gros problème à l’heure actuelle dans le secteur automobile c’est que il y a une surproduction qui était historiquement très, très forte, suivant les analystes je crois que c’est au moins 2 millions de véhicules en surproduction chaque année, donc les usines fonctionnent avec une petite partie de leur capacité de production, or il faut payer les coûts tous les ans, notamment le personnel mais pas que, l’ensemble des coûts, et si vous avez une production qui est trop faible, vous perdez de l’argent. Et donc, il faut trouver de la production, toute la négociation que vous avez à l’heure actuelle chez Renault, c’est bien pour rajouter des unités de production, des véhicules produits en plus de manière à couvrir le seuil de rentabilité des usines. Donc produire des Nissan dans les usines Renault, cela permet de remplir les usines, produire des Smart ou d’autres modèles Mercedes, éventuellement véhicules utilitaires, cela permet de couvrir le coût des usines, c’est évidemment une décision qui a priori est sage. Maintenant c’est un peu du replâtrage c’est-à-dire que cela ne remplace pas la production propre.

Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, vous parlez de l’Europe, on se serait vu il y a une dizaine d’années, on en aurait déjà parlé de cette surproduction. J’ai suivi le secteur automobile il y a plus de 10 ans, on parlait déjà de surproduction, on disait qu’il y avait un constructeur de trop en Europe. 12 ou 13 ans après, on est toujours dans la même situation, mais simplement il y en a qui s’en sortent mieux que d’autres.

Frédéric Fréry, Professeur de Stratégie à l’ESCP Europe : On est dans une situation bien pire parce que le marché s’est effondré, c’est-à-dire que surproduction quand en plus le marché s’effondre, évidemment la production devient criante. Vous ajoutez à cela une guerre des prix parce que si ils veulent couvrir leurs coûts de production, bien évidemment ils vont essayer de remplir leurs usines, et pour remplir leurs usines, ils vendent à peu près à n’importe quel prix, et cela, cela rajoute évidemment à la situation qui existait précédemment. Un constructeur de trop, évidemment ce sont plutôt des constructeurs de petite taille qui ont disparu, je pense à Saab, etc., mais c’est sûr que on peut toujours faire la même analyse. En période de tension et avec surproduction, la théorie économique nous dit qu’il va y avoir des concentrations.

Web TV www.labourseetlavie.com : Il y a eu aussi, il y a un pari de Renault en tout cas vis-à-vis des investisseurs sur le tout électrique, que n’ont pas fait d’autres constructeurs. Quand on interroge globalement les constructeurs, on voit que sur l’électrique, ils sont en général assez prudents, il parlent d’hybrides, de quelques véhicules électriques, mais le tout électrique, il n’y a que Renault qui en parle, est-ce que c’est la chance de Renault ou un nouveau risque ?

Frédéric Fréry, Professeur de Stratégie à l’ESCP Europe : On va dire que c’est un pari que l’on pourrait qualifier de téméraire, mais après tout il y a des gens qui ont réussi grâce à des paris téméraires historiquement. La particularité du véhicule électrique quand même c’est que c’est une très vieille technologie, vous savez que c’est plus ancien que la voiture à essence, la première voiture à atteindre les 100 km/h en 1900, c’était une voiture électrique, c’est une vieille technologie. Et vouloir parier sur cette technologie, c’est parier sur des progrès technologiques très significatifs au niveau de l’autonomie qui a toujours été le gros problème, et pour l’instant, il faut admettre que cela ne donne pas les résultats escomptés. Alors, une solution qui avait été envisagée par Renault qui quand même réfléchi très intensément et investi de l’argent là-dessus, c’était les fameuses stations d’échange de batteries, or ce qui devait servir de prototype à ses stations d’échange de batteries, c’était l’opération réalisée en Israël avec l’entreprise Better Place, et malheureusement on a appris dernièrement que les résultats sont extrêmement décevants au point que l’apporteur de l’idée, Shai Agassi, a été renvoyé de la direction de Better Place. Donc pour l’instant, je dirais que le modèle économique qui a été construit par Renault autour de l’électrique continue à poser des questions et c’est vrai qu’il n’y a guère que Renault maintenant qui tient un discours véritablement positif et optimiste sur cette technologie. Maintenant, il ne faut pas négliger l’intervention étatique c’est-à-dire qu’il peut y avoir aussi des décisions avec des financements publics qui disent « on va obliger, d’une manière ou d’une autre, à cette mutation technologique ». Mais j’ai tendance à dire quand même que, jusqu’à présent, le véhicule zéro émission, c’est aussi un véhicule zéro client.

Web TV www.labourseetlavie.com : En conclusion peut-être puisque vous êtes professeur de stratégie, quand on regarde, si on compare PSA à Renault sur les dernières années, PSA, ils ont changé quatre fois de capitaine, de dirigeant, pour essayer d’adapter la stratégie, Renault n’en a pas changé, et on voit bien de plus en plus effectivement Carlos Ghosn mis en cause sur cette capacité à gérer parce que si on regarde du côté des prévisions des analystes, on se souvient de la marge opérationnelle à 6 %, on l’attend encore, il y a un vrai problème, pourquoi il tient si longtemps ? On pourrait se dire d’autres PDG dans d’autres circonstances auraient déjà été démis de leurs fonctions par les actionnaires pour résultats non tenus.

Frédéric Fréry, Professeur de Stratégie à l’ESCP Europe : Nous ne sommes pas à la place du conseil d’administration, pour autant je crois que la longévité de Carlos Ghosn à la tête de Renault s’explique par le fait qu’il a su s’imposer et peut-être qu’il est objectivement comme le garant de la solidité de l’alliance avec Nissan, et c’est normal, étant le dirigeant des deux, étant extrêmement respecté au Japon, ce qui ne serait pas le cas d’un autre patron français, tant que Carlos Ghosn est là, l’alliance tient, et tant que l’alliance tient, Renault ne meurt pas et Renault continue à pouvoir bénéficier des apports de Nissan. Et donc cela, c’est extrêmement fort. Maintenant, est-ce que l’on peut faire reposer tout cela sur un individu ? Est-ce que cela fait que on n’a pas besoin de se poser de questions sur le fait que sa stratégie n’est pas réalisée ? Cela, on peut laisser le conseil d’administration juger mais on peut se poser effectivement la question. PSA a suivi une logique différente, peut-être trop de remplacements d’ailleurs de dirigeants chez PSA, la stratégie de PSA en un mot, à mon sens, a plutôt péché par manque de ressources qui ont été allouées à des choix qui étaient finalement pas mauvais, mais qui ont été fait a minima alors qu’ils auraient dû être poussés plus directement.

Web TV www.labourseetlavie.com : Merci d’avoir fait le point avec nous, Frédéric Fréry, on rappelle que vous êtes donc professeur de stratégie à l’ESCP Europe.

Frédéric Fréry, Professeur de Stratégie à l’ESCP Europe : Merci 

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