Le cerveau humain est l?un des systèmes les plus complexes existant sur
la planète ; il est capable d?emmener des hommes sur la Lune et de créer
de sublimes ?uvres d?art. Il est impossible de comprendre comment il
peut accomplir tant de choses, si l?on ne prend pas la mesure de ses
trillions de connexions structurelles et fonctionnelles. Pour relever
cet immense défi, les spécialistes étudient la cartographie du cerveau à
plusieurs échelles, du niveau microscopique des connexions synaptiques
entre les neurones au niveau global des connexions entre les régions du
cerveau et entre le cerveau et le comportement. L?imagerie cérébrale, le
séquençage du génome, les manipulations génétiques et l?immense capacité
de l?informatique actuelle ont permis d?accélérer le déchiffrage de la
cartographie du cerveau humain et animal, avec une portée et une
précision sans précédent, permettant ainsi de mieux comprendre les
fonctions du cerveau sain ou malade. Des scientifiques du monde entier,
leaders de la recherche en ce domaine, ont présenté le 5 mai, à Paris,
les résultats de leurs travaux actuels portant sur les connexions au
sein du cerveau lors du 22e Colloque Médecine et Recherche consacré par
la Fondation IPSEN aux neurosciences.

Cette rencontre, organisée par Henry Kennedy (Inserm U846, Bron,
France), David van Essen (Washington University School of
Medicine, St Louis, USA) et Yves Christen (Fondation IPSEN,
Paris, France), a permis non seulement de récapituler les énormes
progrès réalisés en dix ans pour tracer les circuits cérébraux et leur
lien avec le comportement et la maladie, mais également de donner un
aperçu de ce que nous verrons sans doute dans les années à venir.

La puissance de calcul du cerveau dépend du routage, de l?intégration et
de la cartographie non linéaire des informations relatives au monde,
interne à l?organisme ou externe dans son environnement. Les programmes
et la mémoire du cerveau sont intégrés sous la forme de connexions
reliant ses éléments structurels : les neurones et leurs cellules de
soutien, les cellules gliales. La cartographie de ces connexions a
débuté il y a plus de 150 ans, mais a longtemps été limitée, car la
description anatomique des composants ne pouvait s?appuyer que sur des
tissus morts, rendant les corrélations avec la physiologie et le
comportement lentes et indirectes. Cet écart important entre la
structure et la fonction a commencé à être comblé dans les années 1970,
grâce au développement de traceurs susceptibles d?être introduits dans
des cellules nerveuses vivantes, puis, dans les années 1980, par la
première imagerie du cerveau vivant complet.

Aujourd?hui, les nombreuses innovations techniques, qui ont constitué
l?un des thèmes récurrents de cette réunion, produisent d?énormes
quantités de données. Les connexions entre les neurones et les zones du
cerveau sont mises en évidence au moyen de virus et de protéines
modifiés qui s?allument lorsqu?ils sont activés (Karl Deisseroth,
Stanford University, Palo Alto; Edward Callaway, Salk Institute
for Biological Studies, La Jolla, Etats-Unis). L?activité dans les
réseaux neuronaux peut être manipulée et associée aux modifications du
comportement (Deisseroth; Cori Bargmann, The Rockefeller
University, New York, Etats-Unis; Wim Vanduffel, Massachusetts
General Hospital, Charlestown, Etats-Unis). D?importantes améliorations
de l?imagerie cérébrale permettent d?obtenir une cartographie plus
minutieuse et plus précise des zones cérébrales fonctionnelles (van
Essen
), et le ?crowdsourcing? (externalisation ouverte) est utilisé
pour analyser des ensembles de données très volumineux (Winfried Denk,
Max Planck Institute for Medical Research, Heidelberg). L?approche
comparative permet, une fois encore, d?en savoir plus sur l?évolution et
la fonction, et de tester la précision des méthodes d?imagerie utilisées
sur les humains (van Essen).

L?analyse de telles quantités de données s?appuie sur des méthodes
informatiques avancées et sur le développement de modèles théoriques à
des échelles allant d?un neurone à l?ensemble du système nerveux (Olaf
Sporns
, Indiana University, Bloomington, Etats-Unis). De vastes
projets collaboratifs tels que le Human Connectome Project (van Essen)
et le ENIGMA Consortium (Paul Thompson, UCLA School of Medicine,
Los Angeles, Etats-Unis) ont été mis en place pour corréler l?imagerie
du cerveau humain avec les informations sur la génétique et le
comportement, afin d?étayer les liens entre la structure cérébrale
adulte et le développement, ainsi que la maladie.

La difficulté consiste, pour une part, à produire un schéma de câblage
qui décrive la circulation des informations à travers les composants
cellulaires des circuits neuronaux (Terrence Sejnowski, Salk
Institute for Biological Studies, La Jolla, Etats-Unis). La
reconstruction de la « microphysiologie » des connexions neuronales dans
la zone CA1 de l?hippocampe, une structure associée à la mémoire à court
terme, révèle la façon dont la géométrie synaptique influence les
processus électriques et chimiques impliqués dans la transmission et la
plasticité synaptique. La répartition spatiale des différents types de
synapses dans la rétine d?une souris est déterminée à l?aide d?un
microscope électronique à haute résolution (Denk), et les détails
structurels et moléculaires des connexions synaptiques sont visualisés
optiquement dans des cerveaux post-mortem à l?aide de méthodes de
préservation rapides (Deisseroth).

C?est dans le réseau dense du cortex (Kevan Martin, Institute of
Neuroinformatics, Université de Zurich, Suisse) que toutes ces
informations sont traitées et intégrées. Le cortex des mammifères se
compose d?unités répétées, ou colonnes, contenant chacune un petit
nombre de neurones interconnectés et avec un câblage très similaire dans
tout le cortex. Il reste à comprendre comment ces unités réalisent ces
différentes tâches de traitement et comment elles induisent les
comportements des rongeurs et des humains. Un modèle théorique de
colonne corticale pourrait apporter des réponses.

La complexité de la cartographie du monde visuel est illustrée dans le
cortex visuel de la souris, où le champ visuel forme neuf cartes
ordonnées, chaque zone visuelle étant projetée vers 30 cibles corticales
interconnectées réciproquement (Andreas Burkhalter, Washington
University School of Medicine, St Louis, Etats-Unis). Les neurones
situés dans les zones circonscrites du cortex visuel montrent une
spécialisation fonctionnelle reflétée dans leur connectivité, avec des
plaques de neurones transportant des informations spatiales et projetant
vers les zones de reconnaissance des objets du cortex temporal, alors
que d?autres plaques se terminent dans les centres de localisation
d?objet du lobe pariétal. Le câblage entre les zones corticales
adjacentes est dense et similaire, mais avec l?augmentation de la
distance entre les zones, les connexions sont moins nombreuses et plus
clairsemées, établissant une continuité spatiale fonctionnelle qui
représente les parcelles voisines d?espace visuel (Kennedy).

Les études anatomiques, et même physiologiques, fournissent des
instantanés de la connectivité, mais les réseaux fonctionnels sont
dynamiques et il est important de tenter de comprendre comment le
câblage statique génère une variabilité comportementale. Le ver
nématode, Caenorhabditis elegans, possède un nombre fixe de
neurones et de connexions, mais lorsqu?il suit les gradients chimiques,
la synchronisation de ses mouvements est imprévisible. La variabilité
naît du niveau d?activité dans le réseau d?interneurones (Bargmann).
Un certain nombre de techniques ont été développées pour modifier les
niveaux d?activité dans des cerveaux simiens pendant une imagerie
fonctionnelle à résonance magnétique. La surveillance des impacts des
manipulations spécifiques sur le comportement doit apporter des
informations sur la dynamique du réseau (Vanduffel). La
variabilité de la transmission des informations entre les deux
hémisphères cérébraux chez l?humain est corrélée avec la prévalence
manuelle, le volume cérébral et le type de tâche (Nathalie
Tzourio-Mazoyer
, Université de Bordeaux Segalen, Bordeaux, France),
mais l?asymétrie anatomique n?est responsable que d?une fraction de la
variabilité fonctionnelle.

Un objectif commun à toutes ces études est d?améliorer notre
compréhension de la fonction cérébrale normale. L?objectif est également
de mettre en lumière les pathologies cérébrales. Les vastes programmes
collaboratifs tels que le Human Connectome Project et le ENIGMA
Consortium (van Essen; Thompson), impliquant chacun des milliers
de participants, et permettant d?étudier la variation génétique, le
comportement et les antécédents en plus de l?une imagerie cérébrale,
constituent un type d?approche. Le programme ENIGMA examine la manière
dont les facteurs génétiques de risques de maladie, tels que ceux qui
ont été récemment découverts pour la maladie d?Alzheimer, TREM2 et ApoJ,
perturbent et modifient le câblage cérébral, et tente d?identifier les
causes potentiellement traitables (Thompson). L?effet des
asymétries dans les connexions inter-hémisphériques sur la santé
psychologique est examiné chez 450 adultes en bonne santé (Tzourio-Mazoyer).
À l?échelle microscopique, des protéines d?opsine spécialement conçues,
qui peuvent être stimulées par la lumière pour activer ou désactiver les
neurones chez des animaux libres de leurs mouvements, sont utilisées
pour étudier en détail les circuits impliqués dans l?anxiété, la
dépression et la motivation (Deisseroth).

La Fondation Ipsen

Créée en 1983 sous l’égide de la Fondation de France, la Fondation Ipsen
a pour vocation de contribuer au développement et à la diffusion des
connaissances scientifiques. Inscrite dans la durée, l’action de la
Fondation Ipsen vise à favoriser les interactions entre chercheurs et
cliniciens, échanges indispensables en raison de l’extrême
spécialisation de ces professions. L’ambition de la Fondation Ipsen est
d’initier une réflexion sur les grands enjeux scientifiques des années à
venir. La Fondation a développé un important réseau international
d’experts scientifiques qu?elle réunit régulièrement dans le cadre de
Colloques Médecine et Recherche, consacrés à cinq grands thèmes: la
maladie d’Alzheimer, les neurosciences, la longévité, l’endocrinologie
et le cancer. Par ailleurs, la Fondation Ipsen a initié, à partir de
2007, plusieurs séries de réunions en partenariat avec le Salk
Institute, le Karolinska Institutet, le Massachusetts General Hospital,
la Fondation DMMGF, ainsi qu?avec les revues Nature, Cell et Science. La
Fondation Ipsen a publié plus d?une centaine d?ouvrages et a attribué
plus de 250 prix et bourses.

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Le 22ème Colloque Médecine et Recherche de la Fondation Ipsen de la série Neurosciences : «Micro-, méso- et macro- connectomiques cérébrales»