Matières premières : Interview de Philippe Chalmin Professeur à Paris-Dauphine.
Rapport Cyclope 2013 : bilan matières premières et marchés financiers

23 mai 2013 21 h 31 min
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Rapport Cyclope 2013 : “Crises et Châtiments”. Le Rapport Cyclope 2013 (27ème édition), désormais disponible en version nnumérique www.cercle-cyclope.com, détaille la poursuite des crises et leurs conséquences sur les marchés : matières premières, agricoles, énergie, carbone, minerais. Notre invité pour en parler le coordinateur de ces travaux, Philippe Chalmin Professeur à l’Université de Paris-Dauphine. La crise est loin d’être terminée.

Web TV www.labourseetlavie.com : Philippe Chalmin, bonjour. Vous êtes professeur à Dauphine. On va parler avec vous du sujet qui intéresse effectivement beaucoup de monde, les matières premières, et puis les marchés puisque il y a beaucoup d’actualités sur ce sujet, avec votre rapport Cyclope, c’est un rapport qui paraît tous les ans et qui s’intitule cette année « crises et châtiments, alors on aurait pu peut-être espérer reprise, à quand la reprise, etc., quelle est un peu la tendance de fond dans ce secteur et comment vous analysez, vous, où on en est de cette crise économique et financière ?

Philippe Chalmin, professeur à l’Université Paris Dauphine : « Crises et châtiments », c’est un clin d’œil à Dostoïevski, mais somme toute cela colle très, très bien avec la situation qui est la nôtre. Crises, et crises au pluriel parce que nous sommes toujours dans la crise économique de 2008. Nous avons eu l’impression vers la fin 2009, 2010, que c’était fini, on avait presque tout oublié. Nous avons très largement rechuté, notamment en ce qui concerne les pays avancés, faut-il vous rappeler la croissance 0 et moins quelque chose probablement pour l’Europe, pour le Japon, et des États-Unis qui nous déçoivent un peu avec une croissance quand même très limitée, des doutes enfin en ce qui concerne la Chine qui a été un des acteurs majeurs de l’année 2012 et encore de 2013. Crises aussi puisque nous sommes toujours dans la crise sur les marchés des matières premières, qui commence aux alentours de 2005, 2006, et qui a porté les niveaux des matières premières à des niveaux historiquement élevés, d’où ils ne sont pratiquement pas descendus, qu’il s’agisse de l’énergie avec du pétrole autour de 100 $ le baril, qu’il s’agisse des minerais et métaux avec des niveaux de prix très élevés, là encore, que ce soit le minerai de fer, le cuivre, etc., et puis peut-être la plus grosse actualité de 2012, début 2013, qui a concerné les produits agricoles avec la troisième crise agricole, pratiquement en 5 ans, ce qui montre bien que nous avons là de fortes tensions liées à des problèmes d’approvisionnement.

Web TV www.labourseetlavie.com : Est-ce que l’on a pu identifier justement sur les matières premières, est-ce que l’on a pu identifier que les flux de liquidités, tout ce qui avait été fait par les banques centrales, aux États-Unis notamment, avaient pu avoir un impact sur cette partie matière première ou est-ce que c’était d’abord lié à la demande qui était là ?

Philippe Chalmin, professeur à l’Université Paris Dauphine : Non, les deux facteurs majeurs sur les marchés des matières premières, aujourd’hui à court terme, c’est la Chine et le climat, la Chine parce que suivant que vous mettez 7 % de croissance en Chine ou 9 %, vous allez avoir un comportement très différent à l’importation. On l’a très, très bien vu en 2012 avec tous les doutes que l’on a eus, toute politique notamment autour de la réunion du 18e congrès du parti communiste chinois, et pratiquement la Chine est tombée en état de léthargie pendant 2, 3 mois, cela s’est immédiatement traduit sur un certain nombre de marchés de matières premières industrielles, je pense au minerai de fer, je pense au cuivre, je pense au caoutchouc. Et puis une fois assurée la transition, tout est reparti et les marchés ont très largement rebondi. Donc le facteur chinois est le facteur majeur. Le deuxième facteur c’est le facteur climatique à cause justement des tensions agricoles que j’évoquais tout à l’heure, je dirais que les politiques macro-économiques des banques centrales, etc., elles concernent les pays avancés, or nous ne sommes plus aujourd’hui des facteurs majeurs sur les marchés de matières premières. Nous sommes quand même dans des phases plus ou moins avancées de désindustrialisation, donc nous ne comptons plus aujourd’hui quand la Chine produit 700 millions de tonnes d’acier, la France en produit entre 20 et 30, donc vous voyez l’échelle de grandeur. Pleurons sur Fleurange, mais Fleurange malheureusement n’a aucun impact sur la scène mondiale du marché de l’acier.

Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, il y a un phénomène dont on ne mesure encore pas complètement l’ampleur, même si les professionnels des matières premières l’ont bien vu, c’est ce qui s’est passé bien sûr aux États-Unis avec ces gaz de schiste, alors on a vu États-Unis exportateur de matières premières, on a vu des choses qui paraissaient hallucinantes quand sur ce marché-là on avait en tête que tout se passait au Moyen et Proche-Orient et que les États-Unis ne comptaient pas…

Philippe Chalmin, professeur à l’Université Paris Dauphine : Voilà, nous vivons aujourd’hui, moi ce que j’appelle sans prétention la révolution énergétique américaine qui pèse d’ailleurs pour une bonne moitié du delta de croissance américain, ce qui d’ailleurs nous donne une idée de ce que le reste n’est pas très, très dynamique. Effectivement, le développement des gaz de schiste, et puis maintenant des pétroles de schiste, modifie totalement la scène énergétique américaine, la scène industrielle américaine puisque cela veut dire de l’énergie pas chère, et cela commence quand même à avoir un impact sur la scène énergétique mondiale. Faut-il rappeler que aujourd’hui aux États-Unis le gaz naturel vaut le tiers du prix européen, et le cinquième ou le sixième du prix chinois ou japonais, du prix d’importation chinois ou japonais, ce qui veut dire un avantage comparatif tout à fait considérable. Donc ça c’est une vraie révolution énergétique et qui doit d’ailleurs toujours nous rappeler que, lorsque sur ces marchés de matières premières, on essaie de faire des prévisions, on essaie de faire de la prospective, il ne faut surtout pas raisonner à univers technologique constant. Les hausses de prix, à certains moments, peuvent induire des chocs technologiques que nous n’imaginons pas. En 2006 seulement, 2006 ce n’était pas il n’y a pas très, très longtemps, l’équivalent en gaz naturel du baril de pétrole avait, avant même le pétrole, passé la barre des 100 $. Aujourd’hui l’équivalent en gaz naturel du baril de pétrole, il vaut moins de 20 $ sur le marché américain.

Web TV www.labourseetlavie.com : Alors une vraie révolution, en Europe il y a des discussions sur l’énergie mais on sent que cela va être compliqué de se mettre d’accord entre les uns et les autres, comme sur d’autres sujets, mais cela va devenir un enjeu clairement si les États-Unis retrouvent de la compétitivité par ce biais-là, comment l’Europe va-t-elle retrouver de la compétitivité ?

Philippe Chalmin, professeur à l’Université Paris Dauphine : On a même finalement des conséquences qui peuvent être amusantes. Comme le gaz naturel ne coûte pas cher aux États-Unis, il a pris une part de plus en plus importante dans la production d’électricité, donc les États-Unis utilisent moins de charbon, et de ce fait, ont un bilan carbone moins calamiteux. Mais le charbon américain, il est disponible, donc il est exporté, et il vaut quand même un peu moins cher, et il est acheté par qui ? Par les  vertueux allemands, ceux qui ne veulent plus du nucléaire, qui ne rêvent que de renouvelable, mais on sait bien que le renouvelable, le soleil, le vent, cela n’est pas suffisant, donc pour l’instant qu’est-ce qu’ils font ? Ils achètent du charbon, ils produisent de l’électricité avec plus de charbon et donc leur bilan carbone s’aggrave au lieu de s’améliorer.

Web TV www.labourseetlavie.com : Sur les perspectives, avec ces matières premières qui restent à des niveaux élevés tout de même, quelles sont un peu les perspectives que l’on peut avoir et que vous avez, vous, vous parliez finalement du fait que nous sommes toujours dans cette crise, on en sort quand de cette crise ? Il faut encore attendre plusieurs années ?

Philippe Chalmin, professeur à l’Université Paris Dauphine : Oui, je pense que cela prendra du temps tout simplement parce que le temps de l’investissement dans les matières premières est un temps long. Il y a actuellement, ces jours-ci, la première tonne de cuivre du plus grand nouveau gisement minier de cuivre qui est en train de sortir sur le marché, Oyu Tolgoi en Mongolie, est en train donc de sortir. Nous sommes en 2012. Les premiers travaux sur ce gisement remontent à 1994. Le temps de la mine, le temps du forage pétrolier, le temps des nouvelles molécules agricoles, etc., est un temps long, et paradoxalement, la crise n’a commencé qu’en 2006, c’est vrai que l’investissement dans les matières premières est par ailleurs quelque chose de difficile . N’oubliez pas qu’il y a une vieille règle qui est ce que j’appelle « la malédiction des matières premières », c’est que souvent les pays producteurs de matières premières sont des pays instables, politiquement et économiquement, donc le risque investissement est beaucoup plus élevé, et donc nous sommes toujours avec la croissance des pays émergents que nous avons et la croissance de leurs besoins, nous sommes toujours avec des bilans mondiaux qui sont à peine à l’équilibre, voire déficitaires. Donc nous devrions normalement avoir une poursuite de fortes tensions sur les marchés avec quand même un certain nombre d’inconnues, la première c’est la Chine, est-ce que la Chine va continuer à croître ? Étant que la croissance de la Chine restera supérieure à 8 %, nous aurons des besoins tels que les prix resteront élevés. Et puis dans le segment très particulier du monde agricole, il faut se rendre compte que nous sommes sur la fin de la campagne 2012-2013 avec des stocks de reports qui sont extrêmement faibles, le moindre accident climatique pourrait avoir des conséquences dramatiques, alors que si nous avons un climat optimal partout sur la planète, normalement on devrait assister à une relative détente des prix. Mais vous voyez, à l’heure actuelle les marchés qui sont peut-être les plus tendus, alors ce sont des petits marchés que vos auditeurs ne regardent pas souvent, ce sont les produits laitiers, et ceci est lié à une sécheresse en Nouvelle-Zélande.

Web TV www.labourseetlavie.com : Hé oui c’est cela l’impact de rapide qui peut être d’un pays sur le monde entier. Merci d’avoir fait le point avec nous Philippe Chalmin, on rappelle que vous êtes donc professeur à Dauphiné et spécialiste de ces matières premières.

Philippe Chalmin, professeur à l’Université Paris Dauphine : Merci.

©www.labourseetlavie.com. Tous droits réservés. 23 mai 2013

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