Dans la continuité de la réussite exceptionnelle du Colloque Médecine et
Recherche de la série neurosciences de l’année dernière sur le thème de
la connectivité du cerveau, la rencontre de cette année est centrée sur
les interactions dynamiques entre les milliards de connexions produisant
les fonctions extraordinairement complexes du cerveau. Tout comme la
connectivité, la dynamique fonctionnelle du cerveau opère à des échelles
qui vont des échanges microscopiques au niveau des synapses aux
propriétés du système dans son ensemble, en passant par les interactions
entre les circuits responsables de la perception, de la mémoire, de la
cognition et de la prise de décision, la conscience étant le phénomène
le plus délicat à appréhender. À l’occasion de ce colloque, qui a eu
lieu cette année à Paris le 13 avril, les meilleurs chercheurs d’Europe
et des États-Unis, dont l’un des lauréats du prix Nobel de médecine ou
physiologie 2014, exploreront les tout derniers résultats de leurs
recherches et partageront leurs réflexions sur la dynamique du cerveau.
Le 23ème Colloque Médecine et Recherche de la série
neurosciences de la Fondation IPSEN, est organisé par György Buzsáki
(Neuroscience Institute, New York University, New York, États-Unis) et
Yves Christen (Fondation IPSEN, Paris, France).

Les réseaux structurels de connexions entre les neurones constituent le
substrat de la puissance de calcul du cerveau ; cependant la perception,
la mémoire, la programmation motrice et la conscience dépendent toutes in
fine
des courants fluctuants de signaux électriques et chimiques
présents au sein des réseaux neuronaux et entre eux. Les énormes progrès
technologiques effectués dans l’enregistrement et l’imagerie de ces
activités jouent un rôle crucial pour faire avancer notre compréhension
des modes de communication de ces réseaux et de leur contribution aux
fonctions cérébrales normales et pathologiques. Les signaux
peuvent être étudiés et manipulés à toutes les échelles, de
l’enregistrement de zones spécifiques de cellules isolées afin de
déterminer comment les branches individuelles d’un neurone résolvent des
problèmes de calcul liés au comportement (Michael Häusser, University
College London
, Londres, Royaume-Uni) au moyen
d?enregistrements de l?activité d?ensembles ou de réseaux de neurones,
grâce aux interventions optogénétiques et pharmacologiques et à
l’imagerie locale et globale.

L’un des progrès importants tient à l’adaptation de ces méthodes à leur
utilisation chez des animaux éveillés : elles ont ainsi donné un large
accès à l’activité neuronale qui a lieu pendant le comportement, ce qui
a permis de mettre en évidence une complexité bien supérieure à celle
antérieurement détectée chez des animaux anesthésiés. Le travail
couronné par le prix Nobel 2014 en est un excellent exemple :
l’identification de grid cells (« cellules grilles ») dans
l’hippocampe du rat, une structure du cortex participant à la mémoire et
à l’orientation spatiale (Edvard Moser, Centre for Neural
Computation, Kavli Institute, Trondheim, Norvège
). Les grid cells
cartographient l’espace qui entoure l’animal à l’aide de transformations
complexes qui se développent avec l’expérience pour aligner la grille
sur l’environnement.

Les neurones du cortex visuel primaire sont classiquement définis par
leurs champs récepteurs, leurs réponses aux composantes minimales du
stimulus visuel, tels que les lignes ou les angles. L’analyse au niveau
des cellules uniques et des ensembles de cellules montre une complexité
bien supérieure : les champs réceptifs sont modulés de façon dynamique
par des entrées de plus haut niveau à mesure que l’environnement naturel
change (Yves Fregnac, CNRS, Gif-sur-Yvette, France). Une
modulation contextuelle dynamique similaire est observée chez les
rongeurs s’agissant du traitement des informations transmis par leurs
moustaches extrêmement sensibles. L’utilisation de multiples électrodes
pour enregistrer les champs étonnamment bien organisés du cortex
somatosensoriel qui reçoit les informations provenant des moustaches
alors que les animaux les utilisent pour définir la taille d’un orifice
met en évidence un signal anticipateur du cortex moteur qui modifie la
réponse des cellules sensorielles (Miguel Nicolelis, Duke
University Medical Centre, Durham, États-Unis
). Toutefois la
complexité du câblage des six couches du cortex des mammifères demeure
difficile à analyser. Le cortex de la tortue, beaucoup plus simple avec
ses trois couches seulement, s’avère un modèle utile pour l’étude du
traitement de l’information et de la dynamique du circuit (Gilles
Laurent
, Max Planck Institute for Brain Research, Francfort,
Allemagne
).

Le processus de prise de décision est important pour tous les
comportements. Des enregistrements à l’échelle de cellules uniques ou
multiples, combinés à l’imagerie des circuits, sont utilisés pour
examiner le traitement neuronal qui se produit au niveau de l’hippocampe
et du cortex et qui est sous-jacent aux décisions prises par une souris
se déplaçant dans un environnement virtuel (David Tank, Princeton
University, États-Unis
). Le processus de décision peut être
décomposé en une série d’étapes dans laquelle le processus sensoriel
précède une étape anticipatrice de planification motrice nécessitant le
recours à la mémoire à court terme (Li Nuo, Janelia Farm
Research Campus, Howard Hughes Medical Research Institute, Ashburn,
États-Unis
). Toutefois, ces calculs complexes ne dépendent pas
uniquement du cortex : des boucles hautement spécialisées reliant des
aires du cortex frontal et les aires striées situées en profondeur dans
le mésencéphale sont impliquées dans les décisions prises par les
rongeurs quant à la valeur (bonne ou mauvaise) d’un stimulus. Des
circuits similaires sont probablement impliqués dans la dépression,
l’anxiété et les comportements obsessionnels-compulsifs chez l’homme (Ann
Graybiel
, Massachussetts Institute of Technology, Cambridge,
États-Unis
).

La participation d’une autre structure du mésencéphale, le thalamus, à
la consolidation de la mémoire hippocampique a été mise en évidence
grâce à des investigations sophistiquées d?imagerie par résonance
magnétique fonctionnelle régionale et globale basées sur l’activité
cérébrale (Nikos Logothetis, Max Planck Institute for
Biological Cybernetics, Tübingen, Allemagne
). Ce type de travaux
permet de montrer le rôle de l’activité oscillatoire, caractéristique
commune des enregistrements à grande échelle tels que les
électro-encéphalogrammes et dont la fonction fait l’objet de débats de
longue date. L’activité oscillatoire est aussi une composante importante
d’un modèle de consolidation de la mémoire en deux étapes auquel
participent des boucles neuronales hiérarchiques multiples entre le
néo-cortex et l’hippocampe. Ce modèle souligne l’importance des signaux
internes tout autant qu’externes dans ces boucles (Buszáki).

La perception consciente exige que les tâches cognitives soient
décomposées en une séquence d’opérations, mais il n’est devenu possible
que récemment d’établir une corrélation entre une activité neuronale et
un contenu mental spécifique. Le suivi des stimuli conscients et
inconscients dans le cadre de paradigmes tels que le masquage de
stimulus et dans des maladies telles que la vision aveugle (perception
inconsciente résiduelle de la lumière observée dans certains types de
cécité) permet d’identifier des ensembles distribués de neurones codant
les états d’esprit en cours (Stanislas Dehaene, CEA/SAC/DSV/12BM,
Gif-sur-Yvette, France). La théorie de l’information intégrée
pourrait fournir un cadre permettant de prédire ce qui est nécessaire à
la conscience, ce qui s?avère indispensable dès lors que l?on travaille
sur des sujets qui ne peuvent pas être interrogés, comme des patients ne
pouvant répondre, des nouveau-nés ou des animaux très différents de nous
(Giulio Tononi, University of Wisconsin, Madison, États-Unis).

Afin de répondre au défi que représente la complexité du cerveau, des
investissements de recherche à grande échelle ont été réalisés.
L’institut Allen for Brain Science a déjà établi des atlas de
connectivité cérébrale pour certaines espèces, dont l’espèce humaine,
pour les individus adultes et en cours de développement. Un programme de
10 ans, lancé en 2012, a actuellement pour objectif principal l?analyse
détaillée du néo-cortex de la souris centrée sur les boucles établies
entre le thalamus et le cortex participant au comportement visuo-moteur,
à des échelles qui vont de l’ultrastructure synaptique et de la
transcription génétique au niveau des systèmes, par le biais de toute
une batterie de techniques expérimentales et de modélisation (Christof
Koch
, Allen Institute for Brain Science, Seattle, États-Unis).
Le projet européen Human Brain est tout aussi ambitieux, avec son
objectif de cumuler les informations depuis le niveau génétique et
protéique jusqu’au niveau des circuits, en passant par la morphologie
cellulaire, avec l’espoir d’arriver à une compréhension ultime de la
manière dont l’activité de neurones inclus dans des réseaux et des
ensembles peut faire émerger de nouvelles propriétés entraînant des
changements de comportement (Richard Frackowiak, Ecole
Polytechnique Fédérale de Lausanne, Lausanne, Suisse
). Un autre
objectif de ce projet est d’élaborer une théorie qui permettrait de
comprendre le cerveau ainsi qu?une meilleure classification de ses
pathologies.

La Fondation Ipsen

Créée en 1983 sous l’égide de la Fondation de France, la Fondation Ipsen
a pour vocation de contribuer au développement et à la diffusion des
connaissances scientifiques. Inscrite dans la durée, l’action de la
Fondation Ipsen vise à favoriser les interactions entre chercheurs et
cliniciens, échanges indispensables en raison de l’extrême
spécialisation de ces professions. L’ambition de la Fondation Ipsen est
d’initier une réflexion sur les grands enjeux scientifiques des années à
venir. La Fondation a développé un important réseau international
d’experts scientifiques qu?elle réunit régulièrement dans le cadre de
Colloques Médecine et Recherche, consacrés à six grands thèmes: la
maladie d’Alzheimer, les neurosciences, la longévité, l’endocrinologie,
l’arbre vasculaire et le cancer. Par ailleurs, la Fondation Ipsen a
initié, à partir de 2007, plusieurs séries de réunions en partenariat
avec le Salk Institute, le Karolinska Institutet, le Massachusetts
General Hospital
, les Days of Molecular Medicine Global Foundation,
ainsi qu?avec les revues Nature, Cell et Science. La Fondation Ipsen a
publié plus d?une centaine d?ouvrages et a attribué plus de 250 prix et
bourses à des scientifiques et chercheurs en biomédecine.

www.fondation-ipsen.org

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Le 23ème Colloque Médecine et Recherche de la Fondation Ipsen de la série Neurosciences : «Micro-, méso- et macro- dynamiques cérébrales»

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